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REVUE DES DEUX MONDES.

Ancor s’aspetta il canto
Che piacque a Italia tanto…
E Silvio non è più
[1] !

Silvio fut rendu à sa famille le 17 septembre 1830. Il nous initie[2] lui-même avec une grande naïveté aux différentes impressions qui l’agitèrent quand il revit le foyer domestique. Il était donc chez lui, sous son propre toit, au milieu des siens, qui l’aimaient, qui lui souriaient, qui lui parlaient, et ce n’était pas un rêve ! Plus de geôliers, plus de verroux, plus de barreaux ! De l’air, du soleil, la liberté ! Un regret pourtant empoisonnait sa joie : il était libre, lui ; mais ses amis du Spielberg ne l’étaient pas.

Chacun sait dans quelle disposition d’esprit Silvio Pellico est revenu en Italie ; les illusions perdues, comme il le dit quelque part, l’ont arraché aux intérêts mondains et jeté dans la dévotion la plus exclusive, la plus rigoureuse. Son ame, naturellement tendre, a fléchi sous le poids d’une adversité qui en aurait brisé de plus puissantes, et il s’est éloigné de la route commune pour se jeter dans des sentiers plus ombragés, plus paisibles. Mme la marquise de Barol lui a offert dans sa maison un asile qu’il a accepté en qualité de secrétaire ou bibliothécaire, et c’est dans le sein de cette famille qu’il a concentré, dit-on, son existence, absorbé dans les pratiques les plus austères du catholicisme, écrasé peut-être mentalement par une religion trop forte pour lui.

Sa santé, toujours chancelante, est pour beaucoup sans doute dans son goût pour la retraite, et c’est un miracle qu’il n’ait pas succombé aux terribles épreuves qu’il a traversées ; mais il y a dans la faiblesse une élasticité qui résiste en cédant. Pellico est fort petit et nullement taillé pour les orages de la vie politique ; on se demande, en le voyant, si c’est là un conspirateur, et comment sa vue seule n’a pas désarmé la persécution. L’œil est éteint chez lui, mais le front est beau. Il n’aime pas à discuter ; quoique sa conversation n’ait rien de saillant, il y a dans sa parole, dans ses manières une douceur qui touche, et je ne sais quelle bienveillance enfantine qui inspire la confiance. Chose rare, il est foncièrement bon.

De retour à Turin, Silvio a renoué peu à peu le fil si long-temps brisé de ses travaux littéraires. Ester d’Engaddi fut jouée avec succès sur le théâtre de Turin en 1831; mais la censure apposa son veto, et,

  1. « On attend encore le chant qui plut tant à l’Italie…, et Silvio n’est plus ! ».
  2. Mie Prigioni, cap. inedit.