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provoquer à tout prix un mouvement tumultueux dans Paris, de frapper la convention, de la dissoudre en tout ou en partie, et de fournir ainsi un prétexte à l’intervention militaire de Dumouriez. « Ce que j’aperçus bien nettement, s’écrie Barère, c’est que Dumouriez était un traître, un royaliste, un ambitieux à qui il fallait un parti, et qui s’était assuré de Danton. » Le vainqueur de Jemmapes une fois démasqué, Barère, que la journée du 31 mai n’a pas écarté du comité de salut public, prête de nouveaux projets à Danton, qui s’est mis en dehors du pouvoir. L’initiative révolutionnaire du Mirabeau de la populace, comme on l’a surnommé, est systématiquement travestie. « Depuis long-temps, dit-il, Danton cherchait à créer un gouvernement provisoire, bien extrême dans ses mesures, bien violent dans ses moyens, bien envié par sa puissance, bien corrompu par ses richesses ou par ses prodigalités, et bien odieux par l’opinion qu’on répandrait qu’il faisait tout, qu’il était la cause de tous les maux et le père de tous les désastres. Quand ce gouvernement provisoire et colossal serait consacré par les décrets, Danton se chargeait ensuite avec ses moyens, ses disciples, son parti, son système de sans-culotterie, ses armées révolutionnaires, son tribunal révolutionnaire, ses sectionnaires à 40 sols, ses comités révolutionnaires à la jacobite, et ses commissaires du conseil exécutif à la cordelière, ses journalistes, ses aboyeurs et toute la tourbe des sectaires ; il se chargeait, dis-je, de soulever toutes les tempêtes contre le gouvernement et contre la convention qui l’aurait créé ou toléré ; de le briser lui et ses membres ou de le faire plier sous sa volonté personnelle, au milieu des orages et des écueils dont il saurait l’entourer. Si ce système de violence ne réussissait pas à perdre le gouvernement et les gouvernans, alors, changeant de système et opposant le calme plat à la tempête, Danton se proposait de décrier l’énergie du pouvoir en passant brusquement du système de la terreur à celui de l’indulgence, et en faisant contraster la clémence d’Auguste avec la cruauté de Néron. » Telle est à distance l’opinion du soupçonneux Barère sur l’un des plus grands caractères de cette terrible période.

Nommé membre de la convention nationale par les colléges électoraux de Versailles et de Tarbes, Barère ne prend rang parmi les hommes marquans de la révolution que du jour où commence le procès de Louis XVI. Président de l’assemblée pendant ce drame étrange du jugement d’un roi, il s’acquitta dignement, hâtons-nous de l’avouer, de ces fonctions pénibles, et sut garder pour l’illustre accusé tous les ménagemens que comportait l’exaspération des esprits. Le moment venu de dire son opinion, il se prononça pour la mort et contre l’appel au peuple : « L’arbre de la liberté, dit-il en rappelant les paroles d’un auteur ancien, croît lorsqu’il est arrosé du sang de toute espèce de tyrans. » Un cœur faible comme le sien pouvait-il agir autrement sous l’œil des tribunes en fureur, au bruit redouté des hurlemens populaires ? Ce vote régicide fut donc une nécessité pour lui, mais il n’en a pas de remords : « Quand je pense, dit-il, à l’esprit du siècle, à l’opinion des départements,