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pour la société que pour la politique, mais il était méconnu. Il était timide, quoique grand seigneur ; il était citoyen, quoique prince ; et s’il eût pu vaincre son indécision naturelle et sa timidité politique, qu’on avait prise pour un défaut de caractère, il aurait prouvé qu’il pouvait régner et peut-être recommencer Louis XII, qui avait été aussi duc d’Orléans, calomnié, méconnu et persécuté à la cour comme lui. » Quelques pages plus loin, il est vrai, dans son compte-rendu écrit en prison sous des impressions différentes, Barère portera sur Philippe-Égalité un jugement tout autre ; il l’appellera « un homme ambitieux et inquiétant pour la liberté, etc. » Ces étranges contradictions abondent dans les Mémoires de Barère ; c’en est assez, aux yeux du lecteur sérieux, pour infirmer à tout jamais la valeur de ses appréciations. On ne saurait expliquer autrement que par une extrême mobilité d’esprit ce vote capricieux qui, vers la fin de la longue session de l’assemblée constituante, rapprocha brusquement le monarchique Barère des adversaires de la monarchie. La révision du pacte constitutionnel, emportée de vive force par Barnave et les frères Lameth dans le but d’augmenter la prérogative royale, n’était guère qu’un acte de modération dans la victoire, et le député de Tarbes n’avait pas l’habitude de se compromettre avec les majorités. Cependant il se rencontra dans l’opposition avec les chefs du parti populaire, Pétion, Buzot, Robespierre, Grégoire, pour lesquels il n’éprouvait aucune espèce de sympathie, mais ce n’était là qu’une boutade, et le républicanisme de Barère ne compte dans l’histoire que du 21 septembre 1792, jour mémorable où la convention, à peine constituée, décréta d’enthousiasme l’abolition de la royauté.

L’intervalle qui sépare l’assemblée constituante de la convention forme une sorte de lacune politique dans la vie de l’auteur des Mémoires, nommé juge au tribunal de cassation, et le nouveau magistrat, disparu de la scène, n’a pas même songé à mettre à profit cette chance offerte à son impartialité. Il y avait là cependant deux faits d’une haute importance sur lesquels nous ne possédons encore que des notions incomplètes : la journée du 10 août et les massacres de septembre. Barère arrivait à peine de Tarbes, encore tout ému des ovations patriotiques qui avaient accueilli son retour dans sa ville natale, lorsqu’éclata cette insurrection terrible dont la tête de Louis XVI était le prix : il ne pouvait donc être alors dans le secret des mesures combinées par les audacieux meneurs du parti populaire ; mais, en sa qualité de membre du comité de salut public au temps où les certificats de civisme ne dataient plus que du 10 août, il a pu démêler, dans ses rapports quotidiens avec Danton et ses collègues, la vérité des choses et réunir des témoignages précieux. Les fureurs de septembre ont toujours eu une paternité plus douteuse que l’insurrection du 10 août, et le fameux mot du ministre Roland : « Hier fut un jour sur les évènemens duquel il faut peut-être jeter un voile, » n’y a pas peu contribué. Toutefois, il fut une époque aussi où nombre d’enragés (c’était le nom donné à la faction des ultra-révolutionnaires) avouaient avec une étrange