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rigueurs de l’exil. Après la révolution de juillet, l’homme de parti devait s’effacer et faire place à l’historien consciencieux.

Cette persistance outrée dans les vieilles rancunes tendrait à prouver que Barère n’a jamais été qu’un acteur vulgaire, et telle est en effet notre profonde conviction. Élevé au pouvoir par un caprice du hasard, ce dieu souverain des temps révolutionnaires, il s’y est maintenu grace à son infériorité même, qui ne lui permettait de porter ombrage à personne. C’était un esprit souple et insinuant ; ses goûts et ses habitudes le portaient à la modération ; il se laissa entraîner, poussé par l’ambition et par la peur, et il ne sut plus rien refuser, conduit par cette idée peut être, que tout sacrifice serait le dernier. De concession en concession, il s’est trouvé un homme atroce, car, bien que son caractère l’annihilât, il avait à prendre dans les évènemens la responsabilité que lui donnait sa valeur nominale. Misérable et ingrate mission, à coup sûr, que celle qu’il avait acceptée ! Pour expliquer la déplorable faiblesse du décemvir, M. Hippolyte Carnot, son exécuteur testamentaire, a fait de lui un artiste ; excuse fort commode, si elle n’était infirmée par le témoignage des faits. On n’est réputé artiste, dans les jours de révolution, qu’à la triple condition de l’enthousiasme, du courage et de l’énergie ; or, Barère n’était doué que de passions négatives, et il ne s’est jamais résigné à marcher en avant que par crainte du bourreau. Les véritables artistes sont ceux qu’emporte leur fougue, et dont la course ardente ne sait point admettre les sages tempéramens de la réflexion. Barère n’a été qu’un comparse sans initiative, jeté hors de sa sphère et compris, malgré lui, au nombre des meneurs. De là le peu de sympathie que l’histoire a conservé pour lui ; il est de ces hommes contre lesquels la postérité ne peut ressentir de colère durable, mais que l’on ne loue pas impunément. M. H. Carnot s’étonne qu’on ait exalté les girondins, justifié Danton, divinisé Robespierre, et que Barère soit resté sans défenseur contre la calomnie ; la raison de cette apparente iniquité est fort simple. Les girondins représentaient la modération unie aux plus hautes vertus civiques ; Danton, l’énergie et la grandeur populaires ; Robespierre, l’idée fixe et l’incorruptibilité, c’est-à-dire deux des plus grandes qualités d’un chef de secte ; mais Barère, quel prestige a-t-il eu ? Ceux qui, dans les bouleversemens politiques et sociaux, ne personnifient en eux-mêmes ni un caractère, ni une idée, doivent se tenir à l’écart ; sinon, l’avenir n’a pas à leur savoir gré de leur égoïste intervention.

Les Mémoires de Barère se composent de plusieurs séries de fragmens, laborieusement recueillis par M. Hippolyte Carnot au sein d’une énorme liasse de manuscrits formant la matière d’une soixantaine de volumes. Le choix des matériaux a dû nécessiter de longues et fastidieuses recherches, l’insignifiance du livre en fait foi. L’orateur du comité de salut public n’a pas moins écrit que parlé, en sa double qualité d’avocat et de littérateur. Fils du premier consul de la ville de Tarbes, qu’une lettre de cachet avait exclu à toujours des fonctions municipales, pour avoir fait énergiquement redresser des abus