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DU CRÉDIT ET DES BANQUES.

chez les mêmes hommes. Il ne faut pas croire, en effet, que la difficulté de vendre dérive ici de l’excès des produits sur les besoins. Dans les sociétés humaines, les besoins sont infinis, et, à quelque degré que la production s’élève, elle ne les satisfera jamais tous. Aussi est-il vrai de dire, en thèse générale, qu’il est impossible de trop produire. L’excès de la production, s’il existe, n’est jamais absolu, mais relatif. Il n’y a point d’excès quant aux besoins, mais il y a excès quant à la faculté de payer. Tel que ses propres produits embarrassent, et qui n’aspire qu’à s’en défaire par la vente, regarde avec un œil de convoitise les produits de son voisin, pendant que les siens, qu’il garde, excitent chez d’autres des appétits semblables, et tous sont ainsi tourmentés à la fois de ce double besoin d’acheter et de vendre. Situation bizarre et pourtant réelle, où se révélerait un vide profond de l’organisation industrielle, si, fort heureusement, le remède n’était facile. C’est dans une situation semblable que la production languit et que la société végète, avec tous les élémens possibles d’activité et de prospérité.

Or, cette situation si fâcheuse, d’où vient-elle ? Elle vient précisément de ce que, par l’absence du crédit, les produits ne s’échangent pas couramment les uns contre les autres, de ce que leur échange est arrêté ou entravé dans son cours.

Il semblerait, en effet, que, pour sortir de cet embarras si préjudiciable à tout le monde, tous ces hommes, à la fois riches et besogneux, trop riches de leurs propres produits et pauvres des produits des autres, n’auraient qu’à s’entendre pour effectuer, au grand avantage de chacun, l’échange des produits qui les embarrassent contre ceux qui leur manquent. Rien n’est plus vrai, et en ce sens M. J.-B. Say a raison. Mais ce large et général échange, comment l’effectuer couramment sans le crédit ? S’il faut y employer le numéraire, ce qui devient alors inévitable, il ne suffit plus d’avoir des produits à offrir pour obtenir à l’instant ceux des autres ; il faut encore apporter sur le marché, outre ces produits, de l’argent, c’est-à-dire une portion de son capital productif. Alors les données changent, et les difficultés commencent.

Dans leurs spéculations purement théoriques, les économistes dont nous parlons supposent toujours que la quantité de numéraire existante dans un pays est constamment en rapport exact avec le nombre des transactions et des échanges à accomplir, et qu’elle suffit à tout ; à tel point que si l’on venait, suivant leurs idées, à remplacer le numéraire par du papier, celui-ci ne pourrait jamais entrer dans la circulation en plus grande quantité que l’autre sans devenir aussitôt surabondant. Et c’est sur de tels fondemens que l’on asseoit tout un système ! Nous dirons, au contraire, avec la double autorité des faits et des principes, que jamais le numéraire ne suffit à toutes les transactions utiles. Et, pour peu que l’on considére les conditions de son emploi, on le concevra sans peine. Comme le numéraire ne s’obtient que par le sacrifice d’une portion du capital productif, chacun est forcé, dans l’intérêt même de sa production, de n’en employer qu’une faible quantité. Et pourtant, quelle masse de capital ne faudrait-il pas pour effectuer tous les échanges possibles