Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/802

Cette page a été validée par deux contributeurs.
798
REVUE DES DEUX MONDES.

Il semblerait au premier abord que cette combinaison d’avances mutuelles ne fût un avantage pour personne, en ce que chacun ne trouverait dans celles qu’il aurait reçues que l’exacte compensation de celles qu’il aurait faites ; mais il ne faut pas oublier que toutes ces avances se règlent en obligations payables à terme, et que ces obligations prennent la forme de billets négociables, c’est-à-dire transmissibles par la voie de l’endossement. Quiconque a livré des marchandises à crédit devient donc porteur de billets, et ces billets, il lui suffit de les négocier pour rentrer immédiatement dans ses fonds. Dès-lors chacun est maître de recouvrer promptement sous une autre forme les valeurs dont il a fait l’avance, tandis que celles qu’il a reçues au même titre lui restent jusqu’à l’échéance de ses billets. Ses moyens, ses ressources, sa puissance productive, s’accroissent par conséquent de toute la somme des avances qu’il a reçues, sans être diminuées par celles qu’il fait lui-même. Il est clair que dans ce système il y a pour chacun un accroissement net de capital, accroissement égal à toute la somme du crédit qu’on lui accorde.

Le crédit, répondent à cela certains économistes, ne crée pas les capitaux, et ne peut rien ajouter à la richesse effective d’une nation. C’est ce que nous verrons tout à l’heure. En attendant, peut-on nier que, dans le système qu’on vient de voir, le capital productif de chaque industriel ne soit finalement accru ? et s’il en est ainsi pour chacun en particulier, comment n’en serait-il pas de même pour l’ensemble ? Il faut remarquer, d’ailleurs, que tout ceci n’est pas une hypothèse ; c’est un fait qui se passe au grand jour, et dont chacun peut vérifier autour de lui l’exactitude. Ce système d’avances mutuelles entre producteurs se pratique journellement, couramment, avec plus ou moins d’extension, dans tout pays commerçant, et ses effets sont trop clairs, trop frappans, pour qu’on les mette en doute. C’est grace à ce système que chaque négociant peut, selon l’étendue du crédit dont il jouit, ou les habitudes du pays où il habite, doubler, tripler, quelquefois décupler la masse de ses affaires ; c’est-à-dire opérer sur des valeurs, deux, trois, quatre, dix fois plus fortes que sa fortune réelle, sans qu’aucun d’eux souffre des crédits accordés à ses voisins. Qu’on nie tant que l’on voudra, en thèse générale, la possibilité d’un accroissement de valeurs par l’effet du crédit ; ces faits-là subsistent. Si l’économie politique, telle qu’on l’a faite, n’explique pas le phénomène, tant pis pour elle ; mais il ne faut pas, en s’autorisant d’une théorie suspecte, nier des faits évidens.

Tel est donc, quoi qu’on dise et qu’on fasse, l’effet direct et nécessaire du crédit, considéré dans les relations commerciales, qu’il augmente la somme des valeurs sur lesquelles chaque industriel opère, et partant la puissance productive de tous.

Ce système d’avances mutuelles est d’ailleurs susceptible d’une extension presque indéfinie. Quand un capitaliste prête ses fonds au commerce, il ne les prête qu’une fois : aussi les crédits qu’il peut accorder sont-ils bornés comme sa fortune ; mais les crédits entre producteurs n’ont pas de bornes, parce que la matière s’en renouvelle sans cesse avec la production. Si l’on