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DU CRÉDIT ET DES BANQUES.
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mais une autre clause de l’acte d’institution en altéra les bases dès son principe.

Par cette clause, la banque s’obligeait, en retour du privilége qui lui était concédé, à remettre au gouvernement, à titre de prêt, le montant entier de son capital. Il ne lui resta donc, pour opérer dans ses relations avec le commerce, qu’un titre de créance non réalisable sur le gouvernement, et un revenu annuel réglé ainsi qu’il suit : 96,000 liv. sterl. pour les intérêts de sa créance, calculés à raison de 8 pour 100 par an, et 4000 liv. sterl. qui lui étaient allouées en paiement des frais qu’entraînait l’administration des affaires relatives à l’échiquier ou trésorerie de l’état, en tout 100,000 liv. sterl. (2 millions 500,000 francs). C’est donc avec ce faible revenu, et sans aucun capital disponible, qu’elle dut s’aventurer dans la carrière des émissions de billets[1], et asseoir les fondemens de ce crédit colossal auquel elle aspira dès-lors. Elle ne recula pas devant sa tâche, et l’on sait comment elle l’a remplie.

Toutefois, malgré l’évènement, nous ne craindrons pas de dire que cette tentative plus qu’audacieuse n’était pas destinée à un pareil succès. Dans les conditions où elle s’était placée, la banque d’Angleterre devait ou périr, ou se rabattre sur les opérations secondaires, dont les banques s’étaient contentées jusqu’alors. L’émission des billets circulans était trop dangereuse pour elle, privée qu’elle était d’un fonds de réserve capable de rassurer le public sur leur solidité. Aussi sa marche fut-elle d’abord lente et pénible. Elle languit pendant seize années, luttant avec des difficultés croissantes contre les justes préventions du public. Malgré la loi qui donnait à son papier un cours forcé, ses billets perdirent jusqu’à 20 pour 100 contre le numéraire : triste preuve d’une débilité précoce ; premier signe de désarroi, qui n’était que le présage d’un plus grand désastre. Elle se soutint dans ces circonstances critiques, grace à une rare persévérance et à la protection constante du parlement. Mais persistant, comme elle l’a fait depuis, dans le système abusif de prêter au gouvernement le montant entier de son capital, à mesure qu’elle l’augmentait par de nouvelles souscriptions d’actions ; toujours plus ambitieuse à mesure qu’elle augmentait ses richesses nominales, et toujours également pauvre ou dépouillée de moyens effectifs, elle marchait sur un abîme, qui, selon les lois de la prudence humaine, devait tôt ou tard l’engloutir. Une circonstance particulière, en dehors de toutes les prévisions, et dont on n’a pas assez tenu compte, vint tout à coup lui prêter une assistance inattendue, et conjurer sa destinée.

En 1708, le parlement rendit un acte qui interdisait, dans l’Angleterre et le pays de Galles, le commerce de banque et l’émission des billets, à toute compagnie, autre que la banque d’Angleterre, composée de plus de six associés. Cette disposition, à certains égards étrange, produisit un effet bien

  1. Selon toute apparence, c’est parce qu’elle se trouva dans une situation semblable que la banque de Venise dut renoncer à l’émission des billets circulans.