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avait déjà si cruellement expiés. À la porte du ciel qui s’ouvrait devant lui, et près de recevoir la couronne de son martyre, l’enfant maudit retomba sur la terre pour achever de s’y briser.

Un jour qu’il se trouvait dans la chambre de M. de La Tremblaye, il arriva que Richard, en lisant quelques lignes que celui-ci venait d’écrire, se sentit troublé. Pourquoi ? Il n’aurait pu le dire ; mais il pâlit, et son front se couvrit d’une sueur froide. M. de La Tremblaye lui dit : — Vous souffrez ; qu’avez-vous ? — Richard ne le savait pas lui-même.

À quelque temps de là, il y eut un jour de fête au château : on célébra l’anniversaire de la naissance de Pauline. Le soir, après dîner, M. de La Tremblaye entraîna sa sœur sur le perron, et tout d’un coup, comme s’il avait en son pouvoir la baguette enchantée des fées, il fit apparaître dans l’allée du parc une calèche neuve et charmante, attelée de deux chevaux arabes, qui vinrent s’arrêter au pied du perron, devant la jeune châtelaine. C’était depuis longtemps le rêve de Pauline ; l’enfant battit des mains et se jeta dans les bras de son frère.

— Sais-tu bien, dit-elle en examinant les armoiries de sa famille, que M. de La Tremblaye avait fait peindre sur le panneau de la voiture, sais-tu que tu m’as traitée en duchesse ?

C’était un champ d’urgent à trois feuilles de trèfle au pied tortillé, l’écu timbré d’un dextrochère, et pour devise ces mots : Tremulus suo furore minatur. Pauline appela Richard auprès d’elle et le pria en riant de lui expliquer ce latin. En voyant les armoiries, M. de Beaumeillant devint pâle comme la mort, et, durant la promenade, qui fut courte à cause des soirées déjà fraîches, Richard se tint silencieux et visiblement préoccupé. Ses deux amis s’en alarmèrent. Au retour, il courut à sa chambre et tira de ses papiers l’enveloppe qu’il avait trouvée mêlée aux lettres de sa mère. Il en examina le cachet ; ce cachet était aux armes de La Tremblaye. Il regarda la suscription ; il reconnut l’écriture qui l’avait troublé. Ce qui se passa dans son cœur, nul au monde ne le pourrait dire. Il sortit et rencontra Pauline dans le parc. — Évariste n’est pas avec vous ? demanda-t-il d’une voix qu’il s’efforça de rendre calme. — Évariste ? répondit la jeune fille ; n’appelez pas ainsi mon frère. Autrefois je lui donnais ce nom, mais je sais que ce nom réveille en lui des souvenirs douloureux et cruels.

Richard s’éloigna brusquement ; il avait la fièvre, sa tête était en feu.