Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/766

Cette page a été validée par deux contributeurs.
762
REVUE DES DEUX MONDES.

pas en amour, terrain neutre sur lequel les hommes peuvent tout oser sans encourir la réprobation qui frappe impitoyablement leurs victimes. Richard chercha donc vainement sa proie.

Las d’errer comme une ame en peine dans un monde où tout le froissait, il se préparait, soit à voyager, soit à retourner dans son château de Bretagne, lorsqu’un incident qui devait se présenter tôt ou tard changea subitement le cours de sa destinée.

Un soir qu’il se trouvait dans un salon du faubourg Saint-Germain, en passant près d’un groupe de jeunes gens qui ne le savaient pas si près, il entendit outrager sa mère. Le lendemain, une rencontre eut lieu au bois de Boulogne. Richard reçut un coup d’épée dans la poitrine.

Comme les témoins s’empressaient autour de lui, une calèche découverte s’arrêta à l’entrée de l’allée où venait de se vider l’affaire ; c’était la voiture d’un gentilhomme que Richard avait vu çà et là dans le monde, et vers lequel il s’était senti naturellement attiré, malgré la différence de leurs âges. Propriétaire, à Auteuil, d’un cottage qu’il habitait durant la belle saison, M. de La Tremblaye (c’était son nom) avait l’habitude de faire, chaque matin, un tour de bois, au pas de ses chevaux. Bien qu’il eût franchi depuis quelques années le seuil de la virilité, il était jeune encore. Élégant et sévère dans son maintien et dans son costume, laissant lire sur son front la dignité de son caractère, c’était un de ces hommes qui vous imposent en vous regardant et vous honorent en vous donnant la main. Il mit pied à terre, s’approcha du blessé, et parut péniblement surpris de reconnaître M. de Beaumeillant, étendu sans vie sur le gazon de la contre-allée. Après l’avoir saigné sur place, le chirurgien qui avait assisté au combat ayant déclaré que ce jeune homme n’était pas en état de supporter le mouvement de la voiture et la fatigue du retour à la ville, M. de La Tremblaye s’empressa d’offrir sa maison d’Auteuil, où l’on porta Richard sur un lit de feuillage.

La blessure était grave. Tant que dura le danger, M. de La Tremblaye veilla assiduement au chevet de son hôte. La convalescence fut longue. Richard en passa les premiers jours à Auteuil, il y revint fréquemment après sa guérison. Quoique ces deux hommes ne fussent pas au même point de la vie, il s’établit entre eux une intimité sérieuse, fondée sur une estime mutuelle et sur des sympathies réciproques. Pour la première fois Richard trouvait à échanger sans crainte et sans défiance ses idées et ses sentimens. M. de La Tremblaye ne toucha que d’une main discrète et délicate aux peines de