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RICHARD.

les groupes s’entretenaient mystérieusement des fautes et des égaremens de sa mère. Ainsi, jeune et beau, joignant aux qualités les plus précieuses du cœur et de l’esprit le double privilége de la naissance et de la fortune, Richard vit, comme un printemps sans fleurs et sans soleil, s’achever dans l’ennui et dans la tristesse le pâle matin de sa vie. Il n’eut pas même la ressource d’épancher ses peines dans un sein fraternel ; il n’avait point d’ami. Naturellement fier et réservé, élevé solitairement, habitué de bonne heure aux émotions silencieuses, la défiance avait achevé de le renfermer en lui-même. C’était d’ailleurs une ame trop délicate et trop exquise pour rien laisser voir du mal qu’elle endurait. Il est telles douleurs qui ne sortent jamais d’une noble poitrine.

Ce qui le soutenait dans cette dure épreuve qui n’avait que Dieu pour confident et pour témoin, ce qui lui faisait prendre sa sombre destinée en patience, ce qui le retenait dans ce monde où ses pieds meurtris saignaient à chaque pas, c’était la haine. Jamais, au plus fort de ses amertumes, il n’avait accusé sa mère ; toujours il s’était dit que, tombée entre des mains infâmes, elle avait été moins coupable que malheureuse. Il pleurait sur elle et ne l’accusait pas ; mais l’homme qui l’avait perdue, Richard le haïssait d’une haine implacable et profonde. À quelles fins souhaitait-il de le découvrir et de le rencontrer ? Il ne savait et ne se le demandait pas, ses idées de vengeance n’avaient rien d’arrêté ni de fixe ; mais il le haïssait dans l’ame, et, pour se trouver, une fois seulement, face à face avec lui, Richard eût volontiers donné sa vie entière. Où le prendre ? où le chercher ? En arrivant à Paris, Richard s’était imaginé qu’il le reconnaîtrait entre tous, cet homme qu’il ne connaissait pas ; il lui semblait que des indices certains devaient tout d’abord le lui signaler dans la foule. Partout, à chaque instant, il s’était attendu à le voir apparaître. Il s’en était fié à ses instincts, il avait compté sur une voix infaillible qui tout d’un coup lui crierait : Le voici ! voici le bourreau de ta mère ! Enfin, ô candeur du jeune âge ! il s’était dit que le mépris général le lui indiquerait à coup sûr, qu’il entendrait parler sans doute d’un homme perdu de mœurs et de réputation, se faisant un jeu de l’honneur des familles, et que cet homme sans cœur et sans ame serait précisément celui qu’appelait sa colère. Aucune de ces prévisions ne se réalisa. Parmi toutes les physionomies effacées dont se composent les réunions du monde, Richard n’en trouva pas une seule qui répondît au type qu’il s’était forgé. Le mépris général lui indiqua des parjures et des faussaires, des traîtres et des apostats, mais non