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vu le roi, notre maître, reprendre le chemin de l’exil. Nous le pleurons ; ce n’est pas à nous de le plaindre.

À ces mots, le jeune gentilhomme se leva froidement. Il venait de comprendre que la comtesse de Beaumeillant était jugée et condamnée ; il avait appris en même temps et du même coup la gloire et la honte de sa famille.

Richard retrouva partout l’accueil qu’il avait reçu à l’hôtel de Penhoëdic. Partout il vit les bienveillances les plus flatteuses et les sympathies les plus honorables accourir et s’empresser autour de son nom ; il vit partout rayonner la mémoire du comte, tandis que celle de la comtesse restait ensevelie dans la nuit et dans le silence. Loin d’en être atteint, son amour s’en accrut. Mieux il comprit que le souvenir de sa mère était frappé d’interdit, plus il la plaça haut dans son généreux cœur. Le bien qu’il entendait dire constamment de son père avait fini par l’irriter. Que de fois, lorsqu’il revenait à sa solitude, blessé au plus sensible endroit de son être, il évoqua l’ombre adorée pour la couvrir de ses pleurs et de ses baisers ! Que de fois il ouvrit son cœur saignant à sa chère malheureuse proscrite ! Que de fois, pour la venger du dédain et du mépris des hommes, il répandit sur elle des trésors d’indulgence et de bénédiction ! Richard pardonnait et s’exaltait dans sa tendresse, comme s’il eût compris que sa destinée crierait d’elle-même assez haut contre la mère qui l’avait faite si rude et si lourde à porter.

Déjà l’expiation commençait. Jusqu’alors Richard n’avait souffert que dans son amour ; au contact du monde, sa blessure s’envenima. Ses susceptibilités s’aigrirent, son imagination se frappa ; le monde lui devint un enfer qu’il peupla de sombres fantômes. Une défiance maladive égara ses perceptions ; sous le coup d’une préoccupation acharnée, la réalité prit à ses yeux des formes terribles et des proportions menaçantes. Le déshonneur des mères est aux fils un pesant fardeau. Richard en arriva bientôt à croire qu’il portait sur son front le secret qui le consumait. Aux regards les plus inoffensifs il prêtait des intentions offensantes. Son nom prononcé dans la foule le faisait tressaillir de terreur et de honte. Les paroles prononcées près de lui sifflaient comme des serpens à ses oreilles. Il se blessait aux discours les plus innocens, et se déchirait aux plus bienveillans sourires. Il ne voyait partout qu’allusions cruelles et railleuses. Exaltait-on devant lui la mémoire du comte de Beaumeillant, ce n’était qu’en vue d’outrager la mémoire de la comtesse. Il lui semblait qu’on se taisait à son approche, qu’on l’observait à la dérobée, que tous