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Le comte de Beaumeillant avait été un de ces loyaux et fidèles serviteurs dont la légitimité aura pour toujours emporté le type chevaleresque dans un des plis de son linceul. Au premier cri poussé par la monarchie aux abois, il avait tiré son épée et n’était revenu dans le château de ses ancêtres qu’après avoir vu ses maîtres légitimes paisiblement assis sur le trône de leurs aïeux. Il avait partagé les labeurs et la gloire d’une lutte féconde en héros ; il avait été grand sur une terre de géans. Lors de l’arrivée de Richard à Paris, la révolution de 1830 venait d’ébranler le sol de la Vendée, d’en remuer les cendres, d’en raviver les souvenirs. Sur la rive gauche de la Seine, dans ce monde où l’on garde encore le culte du malheur et la religion de l’exil, Richard entra, portant, sans s’en douter, comme une étoile au front, la vieille renommée paternelle.

Sa première visite fut au marquis de Penhoëdic. Il savait que les Penhoëdic s’étaient alliés autrefois aux Beaumeillant, et qu’une étroite amitié avait de tout temps existé entre les deux familles. En effet, à peine eut-on annoncé le jeune comte, qu’à ce nom le marquis se leva : il pressa Richard sur son cœur et le tint long-temps embrassé. La marquise lui tendit une main blanche et sèche qu’il porta respectueusement à ses lèvres. Rangées auprès de leur mère, Mlles de Penhoëdic, trois fleurs de grace et de beauté, écloses sur la même tige dans le jardin de l’aristocratie, l’observaient avec intérêt, tandis que quelques personnes qui se trouvaient réunies dans le salon de la marquise s’empressaient autour de lui, car toutes avaient connu le comte de Beaumeillant, son père. Après les premières effusions, la conversation s’engagea, et l’on peut juger de l’étonnement de Richard, en se voyant tout d’un coup et comme par enchantement illuminé par le reflet d’une renommée qu’il n’avait même pas pressentie jusqu’alors. Ce fut pour lui comme un lever de soleil sans aube et sans aurore. Le comte de Beaumeillant et le marquis de Penhoëdic avaient été compagnons d’armes ; ils avaient combattu sous le même drapeau, partagé les mêmes dangers, mêlé leur sang sur les mêmes champs de bataille. Le marquis rappela les grandes choses qu’avait accomplies le comte ; il n’oublia point qu’à l’armée vendéenne on l’avait surnommé, comme Bayard, le chevalier sans peur et sans reproches. Il cita plus d’un trait qui fit monter au front du jeune homme la rougeur d’un noble et saint orgueil. Comme il achevait de raconter qu’il avait dû deux fois la vie au courage et au dévouement de l’ami qu’il appelait son frère, on annonça M. de Kervégan. Le marquis présenta tout d’abord au nouveau-venu