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RICHARD.

dire, dans toutes ces lettres écrites par Mme deBeaumeillant, il ne se trouvait pas une ligne qui révélât l’existence de Richard. L’absence du sentiment maternel y pesait comme une atmosphère orageuse. L’amante avait étouffé la mère. Une fois, cependant, une seule, Mme de Beaumeillant, dans l’épanchement de ses regrets, s’était rappelé qu’elle avait un fils :


« Vous ne savez pas le mal que vous avez fait ; non, vous ne le savez pas, Évariste, et ce sera votre seule excuse devant Dieu, car Dieu vous jugera. Il ne vous demandera compte ni de ma vie ni de mon bonheur ; souffrir et mourir, n’est-ce pas la commune loi ? Qu’importe que ces yeux, avant de se fermer, se soient usés dans les pleurs ? Qu’importe que ce corps s’affaisse avant le temps, et retourne à la terre ? Mais ce doit être devant Dieu une chose grave que la perte d’une ame, et vous avez tué la mienne. Oui, cette ame qui réfléchissait, comme un lac limpide, toutes les beautés de la nature, qui vibrait, comme un divin instrument, à toutes les harmonies de la création, vous l’avez à jamais ternie, vous l’avez brisée, vous l’avez tuée enfin ! Tout est mort ; le soleil s’est éteint dans le ciel ; l’éternel hiver règne autour de moi. Tout m’est odieux et tout m’importune, ou plutôt tout m’est indifférent. Je ne puis me rattacher à rien : je ne compte plus les jours ; il en est même où je ne souffre pas. Vous avez fait en moi le silence, la nuit, le néant du tombeau. Vous qui nous délaissez, vous vous glorifiez de nos larmes. Ce n’est pas vous, cruel, que nous pleurons, vous ne valez pas un regret ; mais notre cœur que vous avez flétri, mais la meilleure portion de nous-même que nous laissons à votre amour, comme les troupeaux leur laine aux buissons. Te le dirai-je ? Oserai-je le dire sans expirer de honte ? Tu sais bien mon fils, Évariste, cet enfant négligé pour toi ? Il est là, près de moi, tendre, soumis, discret, sacrifiant les ardeurs de son âge aux soins d’une ingrate douleur. Il est là ; pour que rien ne manquât au crime de sa mère, Dieu lui a donné la grace, l’intelligence et la bonté. Quelle femme ne serait heureuse et fière de pouvoir l’appeler son fils ? Eh bien ! sa présence m’irrite, sa tendresse me gêne, et je crois, pardonnez-moi, Seigneur ! je crois que je ne l’aime pas… »

À ces mots, Richard froissa la lettre entre ses mains et la jeta loin de lui sans avoir achevé de la lire. Long-temps il laissa déborder l’amertume de ses réflexions, long-temps il éclata en san-