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ques ménagemens ; peut-être avais-je quelque droit d’espérer que vous m’enseveliriez doucement dans votre tendresse. Oui, un peu de bonté suffisait : vous n’avez pas voulu. C’était pourtant une œuvre sainte, une entreprise qui pouvait tenter un cœur généreux ; avec un peu de patience, vous pouviez sauver une ame ; vous n’avez pas voulu ! Qu’elle s’éteigne donc, cette ame dédaignée qui n’a plus rien à faire ici-bas ! »


Cela continuait ainsi, passant tour à tour des reproches aux regrets, de la tendresse à la colère, de l’orgueil outragé à l’humilité suppliante, éternelles plaintes de l’amour délaissé : seulement, la mort de la victime donnait à celles-ci un caractère terrible et solennel, qui eût touché les plus indifférens et imposé aux plus sceptiques. Cependant, pour un esprit à la fois expérimenté et désintéressé, ce n’eût été, à vrai dire, qu’un poème assez vulgaire ; mais pour Richard, que ses instincts seuls avaient éclairé jusqu’alors, pour ce jeune homme qui, ne sachant précisément rien de la vie, venait d’en lire tout à coup le chapitre le plus lamentable, écrit avec les pleurs et le sang de sa mère, ce fut un coup de foudre qui le frappa en l’illuminant, et cette fois enfin il se trouva face à face avec sa douleur. — Ainsi, je n’étais rien pour toi ! murmura-t-il lentement d’un air sombre ; ainsi, pas un mot pour ton fils ! Ton ame dédaignée n’avait rien à faire ici-bas ? Tu n’as pas cru devoir, pour ton enfant, te donner la peine de vivre ? Ton fils qui t’adorait, ton enfant qui ne vivait qu’en toi ! quel égarement fut le vôtre ! Mais toi, qui donc es-tu ? s’écria-t-il l’œil en feu et le bras menaçant ; toi qui m’as volé l’amour, le bonheur et la vie de ma mère ! toi qu’elle implorait à genoux, et qui, sans pitié, voyais couler ses larmes ! Elle t’aimait, et tu l’as chassée ! elle t’aimait, et tu l’as tuée ! Et c’est toi pourtant qu’à sa dernière heure elle appelait encore ; sur ses lèvres près de se fermer, je n’ai recueilli que ton nom ; dans son cœur près de se glacer, je n’ai surpris que ton image !

Il marchait à grands pas dans la chambre, se frappant le front et pressant sa poitrine avec rage. L’attrait de la souffrance le ramena bientôt aux lettres dispersées. Il les prit une à une et les lut d’un regard tantôt enflammé de colère, tantôt mouillé d’attendrissement. C’était dans toutes le même chant plaintif et désolé ; dans toutes, la révolte et le désespoir d’une ame qui n’a vu dans la vie que l’amour, et qui sent que l’amour l’abandonne : dans toutes surtout, le naïf et monstrueux égoïsme de la douleur et de la passion. Chose cruelle à