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RICHARD.

sauta, comme un aspic, au visage. Toutes ses pieuses dispositions s’évanouirent, et sa rage jalouse l’emporta.


« Non, je ne vous ai pas quitté, comme vous l’avez dit, dans l’attendrissement de notre destinée ; gardez pour vous vos consolations hypocrites. Je ne vous ai pas quitté, moi : je suis partie, j’ai fui, parce que vous m’avez chassée. Non, nous ne nous sommes pas séparés d’un commun accord, en vue de notre bonheur mutuel ; je ne me suis pas séparée de vous, moi : c’est vous qui m’avez rejetée. Non, ce lien ne s’est pas dénoué ; c’est vous qui l’avez brisé. Lâche et misérable, vous n’avez même pas le courage de votre infamie ; bourreau, vous voulez qu’on vous plaigne à l’égal de la victime ; il faut vous savoir gré du sang que vous versez. Allez, je vous connais ! Eh bien ! vous êtes libre ! moi, je suis morte, vous m’avez tuée : morte, entendez-vous ? Vous, heureux, libre enfin ! libre, heureux, Évariste ? Mon amour vous pesait donc bien ! Il était donc pour vous une bien lourde tâche, un bien rude fardeau, cet amour humble et résigné qui se tenait dans l’ombre et se dévouait en silence ! Ce vous était donc un bien grand travail de vous laisser aimer, de vous sentir aimé ? Vous n’avez même pas eu pour moi la pitié que vous ne craigniez pas de réclamer pour vous ; vous m’avez immolée froidement, à vos pieds, embrassant vos genoux et mouillant vos mains de mes larmes. Qu’avais-je fait pour me voir traitée de la sorte ? Ce que tu avais fait, malheureuse ! tu aimais, et l’ingrat n’aimait plus ! Mais, dites, fallait-il pour cela vous montrer si dur et si cruel ? Ne pouviez-vous attendre quelques jours, ou du moins laisser tomber quelques paroles affectueuses, afin que ce cœur, mortellement blessé, pût en vivre jusqu’à sa dernière heure ? Vous ne m’aimiez plus, hélas ! mais si vous m’avez aimée, qu’était-ce donc que cet amour qui, en se retirant, n’a déposé en vous que le dédain, le mépris et l’injure ? C’est que tu ne m’as jamais aimée, va ! Non, durant le siècle de douleurs qu’a duré cette liaison fatale, je n’ai pas cru un seul instant à ton amour, pas un instant ! J’attendais, j’espérais, j’essayais, je cherchais, mais je ne croyais pas. Ainsi donc, voilà le prix de tant d’efforts et de sacrifices ! Ne vous y trompez pas, je suis morte ; rien, plus rien ! Vous avez clos ma vie. Je n’étais que par vous et pour vous. Il vous aurait suffi d’un peu de bonté pour m’amener sans efforts au seuil des affections paisibles, pour m’aider à franchir sans déchirement le passage des illusions à la réalité. Peut-être n’étais-je pas tout-à-fait indigne de quelques soins et de quel-