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à produire ; qu’il eût été beau de rencontrer la manière à la fois idéale et sensuelle des grands maîtres de l’école italienne ! C’est dans l’histoire de Madeleine que Jésus doit apparaître comme ce prophète d’Orient qui, malgré la douce austérité de ses mœurs, admire la parure des lis et défend leur oisiveté. Quant à Madeleine elle-même, est-il besoin de rappeler que c’est le plus admirable type de courtisane qui puisse enflammer l’imagination d’un peintre ou celle d’un poète ? La figure d’Aspasie est pâle auprès de la sienne. L’amour antique et l’amour chrétien se réunissent en elle. Les accens de David et ceux de Tibulle doivent se confondre dans la voix qui entreprend de la chanter. Voilà tout ce que nous faisait penser le nom écrit en tête du poème de Mme de Girardin. Pour garder nos illusions, il aurait fallu nous en tenir au titre et ne pas lire le poème. En vérité, Mme de Girardin aurait mieux fait de traiter Madeleine à la manière dont Parny traita la Vierge, et Voltaire Jeanne d’Arc, que de travestir en un récit, tantôt froid comme une ode académique, tantôt précieux comme un sonnet ou mignard comme une romance, le sublime épisode de l’Évangile. Peut-être son poème est-il un péché de jeunesse, je le veux bien ; mais ce sont de tristes péchés de jeunesse que les doux chants d’un poème sans vie ou les cinq actes d’une tragédie glacée. Comment les femmes, qui en ont de si doux à faire, ne savent-elles pas s’en contenter et laisser ceux-là à la conscience des académiciens ?

Mme de Girardin est une femme d’esprit qui n’était pas plus destinée à composer des hymnes patriotiques ou des poèmes sacrés que Mme Deshoulières à célébrer les victoires de Louis XIV. Placée au milieu d’une de ses sociétés élégantes et lettrées, comme il en existait au XVIIIe siècle, elle eût tracé sur des éventails et sur des carnets des vers qui auraient mérité d’être portés par la renommée de Versailles à Paris ou de Paris à Versailles. Elle se fût entendue mieux que Mme de Genlis à charmer les loisirs d’une vie de château ; elle eût écrit pour le théâtre de l’île Adam des proverbes qui auraient fait les délices de la petite cour du prince de Conti. Elle n’aurait eu qu’un seul défaut, celui d’être sujette à des accès d’enthousiasme pour les philosophes et de souffrir qu’on l’appelait quelquefois Uranie. À l’époque où le sort l’a fait vivre, l’esprit était décrié, bafoué, considéré comme une chose aristocratique tout-à-fait contraire aux mœurs et aux idées nouvelles. Sa cause était si mauvaise, que ceux même qui revenaient de l’exil n’osaient pas la défendre. Les poètes se partageaient en patriotes et en troubadours, Les uns sacrifiaient à un libéralisme sonore, les autres à un romantisme ténébreux. Mme de