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LA DIVINE COMÉDIE AVANT DANTE.

du ciel. — Dieu a déjà, dans les simples extases des martyrs, ces familiarités étranges que lui prêteront plus tard les auteurs de mystères.

L’autre vision est celle de sainte Perpétue, qui avait accompagné Sature au ciel, comme elle le suivit depuis au supplice. Elle eut en effet dans sa prison un autre rêve où il ne s’agit plus du ciel, mais où semble se manifester vaguement l’idée de purgatoire. La sainte vit, dans un grand éloignement qu’elle ne pouvait franchir, un enfant dévoré de soif, et dont les lèvres s’efforçaient en vain d’atteindre les bords trop élevés d’un bassin rempli d’eau. C’était son frère Dinocrate, mort naguère, à l’âge de sept ans, d’un cancer à la joue. À ce spectacle, Perpétue répandit des larmes et pria. Quelques jours après, elle revit l’enfant, toujours dans le lointain. Cette fois, il était guéri, revêtu d’habits brillans, et, une coupe à la main, il puisait dans la piscine, dont l’eau ne diminuait pas. — Dinocrate était-il un enfant mort sans baptême ? Je ne sais. Ce qu’il y a de sûr, c’est que la miséricorde fait presque exclusivement le fond de toutes ces légendes, c’est que l’efficacité des prières pour les morts éclate déjà avec quelque poésie.

Il en est de même de la singulière hallucination de sainte Christine, dans le courant du IIIe siècle[1]. Cette vierge, étant morte, fut exposée en pleine église aux regards des fidèles. Pendant qu’on célébrait pour elle l’office accoutumé, elle se leva subitement de son cercueil et s’élança sur les poutres du temple, ainsi qu’aurait fait un oiseau ; puis elle reprit le chemin de sa maison, et alla vivre avec ses sœurs, auxquelles elle raconta ses ravissemens successifs en purgatoire, de là en enfer, et enfin en paradis. Arrivée dans ce dernier lieu, Dieu lui avait donné à choisir de rester au ciel ou de retourner sur terre, afin d’y racheter par la pénitence les ames qu’elle avait vues en purgatoire. Christine n’hésita pas à prendre ce dernier parti, et les saints anges la ramenèrent dans son corps. — Telle est la charité en sa plénitude, et l’agiographe qui recueillait au moyen-âge cette antique tradition n’en a certainement pas altéré l’esprit : on se sent là dans les premiers siècles du christianisme.

Ainsi, quoique toujours présent dans le dogme, l’enfer tient peu de place en ces récits des vieux légendaires. Entraîné par ce souffle d’indulgence, Origène soutint que toutes les peines de l’autre vie sont expiatoires, et que le bien gagnera enfin le dessus. Cette doctrine, bientôt réprouvée par le sixième concile, sembla amener une réaction des idées de damnation éternelle, à laquelle il est peut-être convenable de rattacher en partie le traité vengeur de Lactance, De la Mort des Persécuteurs. Mais bientôt les théories indulgentes reparaissent. Au IVe siècle (cela ressort d’un passage de l’Hymne au Sommeil de Prudence), on croyait volontiers que le nombre des hommes assez pervers pour être damnés serait très restreint. L’idée d’un milieu entre l’enfer et le paradis, je veux dire le purgatoire, plaît singulièrement à ce poète chrétien. C’est donc le principe du pardon qui semble dominer alors, et qui charme particulièrement les esprits. Dans sa Théodicée, Leibnitz paraît même

  1. Bolland., 21 août, p. 459.