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LES FEMMES POÈTES.

théon, chante la patrie et les grands hommes, parle de sa beauté, de sa gloire, de son génie, se donne elle-même le non de Corinne, et va se faire couronner au Capitole.

Il y eut, sous la restauration, une époque où il se fit une étrange confusion des sentimens les plus divers d’origine et de nature. Les souvenirs de l’émigration et ceux de l’empire se mêlaient, dans certains esprits, de la façon la plus bizarre. On ne voulait pas répudier les quatorze glorieuses années que notre nation, devenue un peuple nomade de héros, avait passées sur les champs de bataille ; on ne voulait pas non plus rejeter dans une nuit éternelle les quatorze siècles qui ressuscitaient avec l’antique royauté. On rêva l’alliance de la passion chevaleresque avec le patriotisme de 89. On vit dans les poésies un incroyable mélange de preux, de troubadours, de châtelaines et de grenadiers de la vieille garde. Clotilde de Surville s’unissait à Béranger : C’est au milieu de ce chaos où flottaient les élémens les plus opposés, que Mme de Girardin commence à écrire. En ce moment, je vois à côté l’une de l’autre, dans le même volume, deux odes, je crois que ce sont ses premières, dont l’une est adressée au général Foy, l’autre à Jeanne d’Arc. Mme de Girardin nous entretient si souvent de sa beauté dans ses poésies, qu’il nous est permis d’en parler comme d’un fait qui appartient à sa vie littéraire. Les belles font aimer,… c’est André Chénier qui l’a dit ; elle était belle et on l’aima. Le nom de Delphine fut à la mode. Une jeune fille avec de blonds cheveux, des yeux limpides et une taille élancée, se présente au public pour jouer le rôle de Muse. — Le public, qui aime les yeux limpides, les tailles élancées, et les blonds cheveux, se hâte de l’accepter ; voilà l’histoire des débuts de Mme de Girardin. Je ne sais pas si, aux temps antiques, il y avait dans les cœurs assez d’amour simple et sincère de l’art pour que le poète pût chanter au grand jour et devant la multitude sans profanation ; si cela fut, comme j’aime à le croire, il est certain que cela n’existe plus aujourd’hui. Dussé-je passer pour manger de la laitue et marcher à la façon des bêtes sauvages, comme Voltaire le reprochait à Jean-Jacques, je déclare qu’il n’est point de vie qui me paraisse plus odieuse que celle de Corinne. S’il est un commerce qui demande de la pudeur, c’est celui qu’on entretient avec la poésie. Avoir toujours sur la bouche, même avec les indifférens, les mots et les pensées qui se tirent, comme les pierres précieuses, des profondeurs les plus mystérieuses de l’ame, appeler le feu du ciel dans ses yeux quand on est entouré de visages au sourire indifférent ou hébété, songer toujours, toujours aux