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JEAN-PAUL RICHTER.

passagères de ce monde ; mais, dans ce cours trajet du berceau à la tombe, je n’oublierai jamais le 15 novembre. » — Les funérailles de Jean-Paul eurent cela de particulier, que ses œuvres y figurèrent. Pareilles à ces images de la Victoire qui précédaient et suivaient le char mortuaire des grands capitaines de l’antiquité, les créations de son génie, pleureuses immortelles, accompagnèrent le poète jusqu’au champ du repos. Au-dessus du cercueil qui renfermait sa dépouille, une main pieuse avait mis le manuscrit resté inachevé de son traité sur l’immortalité de l’ame. Voilée d’un crêpe noir, entourée d’une couronne de laurier et de symboles religieux, la précieuse relique apparaissait là comme cette épée glorieuse qu’on dépose sur le cercueil des généraux d’armées. Magistrats, professeurs, étudians, tous étaient de la fête, tous cheminaient au lugubre tintement des cloches, aux lueurs mornes des torches qui flamboyaient à travers les brumes de novembre ; car le convoi se fit sur le soir, comme c’est la coutume dans plusieurs villes d’Allemagne, et, lorsqu’on fut arrivé au cimetière, le prêtre qui officiait, voulant saluer une dernière fois celui que la terre allait ensevelir, ne sut rien trouver de plus noble et de plus beau que ces paroles empruntées à Jean-Paul lui-même : « Il n’y a qu’un esprit vain et présomptueux qui puisse prétendre ici-bas à s’isoler en lui-même, à marcher comme l’univers, solitaire et de front avec la divinité ; car un être s’est rencontré une fois qui dompta les temps par sa toute-puissance docile et se fonda une éternité qui lui est propre ; qui, tendre, épanoui, flexible comme l’héliotrope, splendide comme un soleil et doué comme lui de forces attractives, émut par ses formes sereines les peuples et les siècles et les conquit à la toute puissance éternelle ; et cet être, c’est l’esprit de mansuétude et d’amour que nous appelons Jésus-Christ. Sa venue seule indique une Providence et la représente, si lui-même il ne l’est. Une vie calme, une mort calme, furent l’unique harmonie au moyen de laquelle cet Orphée-homme, cet enchanteur sublime, disciplina les animaux féroces et convertit les rocs en cités. Et pourtant d’une si divine existence, de cette guerre de trente ans qu’il soutint contre un peuple sourd et tiraillé, quelques semaines seulement nous sont connues. Combien de ses actes et de ses paroles ne se sont point perdus avant qu’il eût été compris de ses quatre annalistes, tous si étrangers à lui de nature. Et quand nous voyons que la Providence n’a pas permis qu’un tel Socrate eût un Platon, et que du livre divin de cette existence quelques feuilles seulement nous sont parvenues, compterons-nous encore les naufrages où peuvent s’engloutir les hommes et leurs petites