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JEAN-PAUL RICHTER.

un nuage. Vers quatre heures, bien que le jour donnait en plein dans son alcôve, il ne nous voyait plus ; ses yeux regardaient fixement devant lui, et je ne sais quelle sérénité radieuse illuminait son front, fantaisies du printemps, qui jouaient avec son ame défaillante !

« Enfin, l’ange de la mort étendit ses ailes sur sa face, et remonta emportant son ame, la tige de son ame, qu’il venait d’arracher avec toutes ses racines du vase terrestre rempli de poussière organique où elle avait fleuri jusque-là. — Spectacle imposant et sublime ! La mort accomplit son œuvre en silence et travaille pour l’autre monde, cachée derrière les lugubres rideaux, tandis que nous, mortels, nous contemplons la scène d’un œil humide, mais borné. — Pauvre ami ! soupira la veuve, qui nous eût dit il y a quarante ans que tu rendrais l’ame au jour même de l’anniversaire de notre lune de miel ? Sa lune de miel recommence à cette heure, m’écriai-je, et cette fois pour ne jamais finir. »

Cette mort, que Jean-Paul donne au bienheureux Maria Wuz, dont nous parlions tout à l’heure, à cette excellente figure de maître d’école de village à laquelle le sexagénaire de Neustadt avait servi de type, cette mort fut la sienne, et la relation imaginaire devient, en changeant quelques mots, le tableau le plus vrai et le plus exact des derniers momens du philosophe de Bairenth. À force de se réfléchir dans certains personnages de son affection, il devait finir par deviner en eux sa propre mort et contempler minute par minute, dans ces espèces de miroirs magiques, jusqu’aux moindres détails de cette heure suprême, qu’on aime à laisser dans le vague. Peut-être aussi faut-il voir dans cette relation pressentie un exemple de ce don prophétique qu’il se vantait de posséder[1]. Quoi qu’il en

  1. Un peu au-dessous de cette seconde vue morale que lui suggérait son esprit d’analyse et d’observation, il s’en était déclaré dès long-temps une autre moins sérieuse et qui donna lieu plus d’une fois à d’excellentes boutades : je veux parler de cette singulière manie qu’il avait de vouloir distribuer des oracles en matière de temps et de saisons, de cette humeur drôlatique qu’il dépensait en toute sorte de petits livres et d’almanachs du genre de celui-ci, par exemple : Saturnales concernant la planète supérieure dont l’influence doit régir l’année 1818. Du reste, ces velléités astrologiques lui tenaient si fort au cœur, qu’il en semait volontiers sa correspondance, et il n’est pas rare de lui voir terminer une lettre écrite d’un bout à l’autre du style le plus élevé par quelque post-scriptum digne de Mathieu Laensberg. J’ouvre au hasard sa correspondance ; et je trouve ce passage au bas d’une lettre philosophique qu’il écrivait à Jacobi (avril 1814) : « Tu peux en croire ton prophète ; le printemps, cette année, sera tiède et bleu ; annonce-le de ma part à ton ame ; si ton ame a quelque raison de se méfier de son corps ; tu vas te raviver pour bien vivre. »