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LES FEMMES POÈTES.

païenne. L’autre est l’élégie qui mêle au regret ou à l’espérance du plaisir des regrets plus vagues et des espérances plus lointaines, l’hymne où le sentiment des jouissances terrestres tend sans cesse à se confondre avec celui d’un bonheur qui n’est nulle part ici-bas, enfin cette élégie chrétienne où le sourire de Béatrix a remplacé celui de Délie. Si M. de Lamartine eût déjà chanté Elvire à l’époque où Mme Desbordes-Valmore composa ses premières poésies, sans doute c’est vers cette dernière élégie qu’elle eût incliné ; mais, aux jours de ses débuts, on était encore sous l’empire du chantre d’Éléonore. Ce fut donc Parny qui lui servit de guide. C’est l’élégie des anciens âges qu’à son insu peut-être elle essaya de reproduire. Ici le souvenir d’André Chénier se présente encore à mon esprit. Je ne sais que lui qui fasse passer dans nos veines le feu dont les brûlent quelques vers de Catulle qui puisse décrire avec une fougue toute latine le désordre d’une couche et les suites d’un combat amoureux. Certes, c’est là un talent que d’ordinaire on n’est pas en droit d’exiger d’une femme, mais qu’on peut, je crois, demander à celle qui s’écrie :

Quoi ! sur ton cœur jamais ne pourrai-je dormir ?

Ou bien :

J’ai goûté cet amour, j’en pleure les délices,
Cher amant ! quand mon sein palpita sous ton sein, etc.

Puisque Mme Desbordes-Valmore empruntait aux poètes de l’amour sensuel les plus hardis de leurs sujets, que ne savait-elle leur emprunter aussi leur façon vigoureuse de les traiter ? Voici les règles que M. de Parny donnait à l’élégie dans son discours de réception à l’Académie française : « Le poète, dit-il, doit se faire oublier, et non pas s’oublier lui-même ; l’élégance du style est nécessaire et ne suffit pas ; il faut encore un choix délicat de détails et d’images, de l’abondance sans négligence, du coloris sans aucun fard, et le degré de précision qui peut s’allier avec la facilité. » Mme Desbordes-Valmore n’a rempli aucune des conditions de cette excellente poétique. Contrairement au précepte que nous venons de transcrire, elle a trouvé moyen de s’oublier elle-même en ne se faisant pas oublier. Ses élégies ont l’intérêt que présentent toutes les lettres amoureuses, intérêt très puissant pour ceux qui les ont écrites ou ceux à qui elles sont adressées, mais très faible pour ceux que le hasard ou une indiscrétion en a rendu maîtres.