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ils n’ont pour rivaux que les chiens parias, les chacals, les vautours et la nombreuse tribu des oiseaux de proie. N’allez pas croire que ce soit par goût qu’ils préfèrent cette nourriture ; lorsqu’ils peuvent se procurer de la viande saine, de la farine ou des végétaux, ils se gardent bien d’avoir recours aux cadavres. Je n’ai rien vu, du reste, de plus hideux et de plus dégoûtant que ces kanjars. Ils sont beaucoup plus noirs que les Hindous des autres castes ; on sait que la couleur plus ou moins foncée de la peau est un signe certain du plus ou moins de dégradation des castes. Ainsi, la caste des brahmes est sans contredit la plus belle et la plus blanche, et annonce une origine étrangère. Le kanjar est sujet à la lèpre, aux dartres, aux ulcères ; sa malpropreté et sa nourriture immonde rendent presque inévitable chez lui le développement de ces tristes infirmités. On le voit fumer avec délices le gandja (cannivis sativa), espèce de chanvre, et souvent il s’enivre de boissons fermentées. Les Hindous de cette caste habitent à côté des villages, dans un endroit réservé, et sont employés à l’enlèvement des immondices.

Où vont ces milliers d’Indiens qui suivent un seul Européen ? Ils partent pour Calcutta, afin de se rendre de là à Maurice, où ils vont remplacer les nègres qu’on y a émancipés. N’ayant pas les moyens de se nourrir au milieu d’une contrée si riche, où le quart d’un terrain si fertile reste inculte, ils sont forcés d’émigrer ; des spéculateurs avides ont déjà trouvé le moyen de les frauder de trois mois de paie sur les six qu’ils vont recevoir en avance. Combien ne reverront plus le ciel qui les a vus naître ! Le désespoir, la maladie, ne tarderont pas à décimer ces malheureux, entassés comme des animaux à bord des navires[1].

Que reste-t-il d’Oudjein, Bhopal, Djeypour, Gualior, Indore, Haïderabad, Ahmedabad, Furkabad, Delhi, Agra, toutes villes capitales d’états florissans ? À plusieurs milles à l’entour, vous ne voyez que colonnes, temples renversés, monumens déserts. Les bêtes fauves et les reptiles ont remplacé les habitans ; tout est désert, silencieux ; l’oreille n’est plus frappée par le kosch amendi (bienvenue) du maître ; le cri plaintif du chacal ou le sifflement de la couleuvre capel résonnent seuls autour du voyageur. Le vent

  1. La métropole voulut arrêter, il y a quelque temps, ce commerce d’hommes, à cause des abus et des plaintes sans nombre qui étaient parvenues aux oreilles du gouvernement ; on donna même des ordres à cet effet, mais les demandes réitérées des planteurs de l’île de France, appuyées de celles des spéculateurs, ne tardèrent pas à faire lever cet embargo.