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LES ANGLAIS DANS L’HINDOUSTAN.

Si l’on voulait que les missions religieuses étendissent et consolidassent leur influence dans le pays, il faudrait que le gouvernement anglo-hindou se montrât moins pénétré de l’importance de la mythologie brahminique. Il serait mal sans doute de heurter les préjugés religieux de ces nations, ou de les combattre à la manière du clergé catholique espagnol dans ses possessions des Indes et de l’Amérique ; mais on pourrait se montrer tolérant, sans paraître partager, comme on le fait, toutes les superstitions qui arrêtent dans son développement la société hindoue. Durant les fêtes de la Dourga et de Kali, les canons du fort William ne cessent de tonner en l’honneur de ces deux déesses. À la fête de la Kali surtout, le fanatisme religieux s’abandonne aux plus cruelles et aux plus dégoûtantes folies dans les processions publiques, qui se font alors au son des instrumens ; les uns, couverts de vêtemens où le sang ruisselle, paraissent à ces processions la langue percée d’une broche ; d’autres ont les paupières recouvertes d’hameçons, ou bien ils passent, en plusieurs parties de leur corps, des bambous flexibles entre la peau et la chair. Ces cérémonies ont quelque chose de plus révoltant que celle du satti même[1]. Est-ce qu’un gouvernement chrétien devrait, comme les brahmes, exploiter la crédulité des pauvres Hindous, et vivre aux dépens de la pagode de Jaguernat ? Devrait-il prélever un impôt d’une roupie sur tout individu qui se baigne au confluent du Gange et de la Djoumna, ou à Hurdouor, à une certaine époque de l’année ?

Les Européens jugent trop souvent de l’état actuel de l’Hindoustan d’après les villes maritimes, telles que Madras, Bombay et Calcutta, villes qui ont à elles seules le monopole du commerce de toute la presqu’île aussi bien que du golfe Persique et de la mer Rouge. Ces villes sont les seules précisément où se soient concentrées les richesses et l’aisance. Mais peut-on comparer les habitans de ces cités opulentes aux populations répandues dans tant de royaumes, de villes et de villages ? Si, en se reportant vers le passé, on erre au milieu des dunes solitaires où s’élevaient autrefois des capitales florissantes, quel changement ! Que sont devenus les trésors de Golconde et de Bejdapour ? Ces cités ont-elles été frappées de la peste ? Visitons Dakka sur le Brahmapoutra ; cherchons ces fabriques où se tissaient les mousselines délicates qui, par leur cherté, étaient réservées à la parure des reines ou des sultanes. Ses ateliers sont détruits ; nous ne rencontrons plus que quelque malheureux tisserand travaillant au

  1. Cérémonie où la femme se brûlait sur le corps de son mari.