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compagnant du tambour de basque, du triangle et des castagnettes ; celui qui touchait le pandero était un virtuose dans son genre ; il faisait résonner la peau d’âne avec ses genoux, ses coudes, ses pieds, et, quand tous ces moyens de percussion ne lui suffisaient pas, il allongeait le disque orné de plaques de cuivre sur la tête de quelque muchacho ou de quelque vieille femme. L’un d’eux, l’orateur de la troupe, faisait la quête en débitant avec une extrême volubilité toutes sortes de plaisanteries pour exciter les largesses de l’assemblée. — Un realito ! criait-il en prenant les postures les plus suppliantes, pour que je puisse finir mes études, devenir curé, et vivre sans rien faire. — Quand il avait obtenu la petite pièce d’argent, il la plaquait contre son front, à côté des autres déjà extorquées, absolument comme les almées qui, après la danse, couvrent leur visage en sueur des sequins et des piastres que leur ont jetés les Osmanlis en extase.

La course était indiquée pour cinq heures, mais l’on nous conseilla de nous rendre au cirque vers une heure, parce que les couloirs ne tarderaient pas à s’encombrer de monde, et que nous ne pourrions pas parvenir à nos stalles, bien que marquées et réservées. Nous déjeûnâmes donc à la hâte, et nous nous dirigeâmes vers la place des Taureaux, précédés de notre guide Antonio, garçon efflanqué et serré à outrance par une large ceinture rouge, qui faisait ressortir encore sa maigreur, dont il attribuait plaisamment la cause à des chagrins d’amour.

Les rues regorgeaient d’une foule qui s’épaississait en approchant du cirque ; les aguadors, les débitans de cebada glacée, les marchands d’éventails et de parasols en papier, les vendeurs de cigarres, les conducteurs de calessines, faisaient un vacarme effroyable ; une rumeur confuse planait sur la ville comme un brouillard de bruit.

Après d’assez longs détours dans les rues étroites et compliquées de Malaga, nous arrivâmes enfin à la bienheureuse place, qui n’a rien de remarquable à l’extérieur. Un détachement de soldats avait beaucoup de peine à contenir la foule qui voulait envahir le cirque ; quoiqu’il fût tout au plus une heure, les gradins étaient déjà garnis du haut jusqu’en bas, et ce ne fut qu’avec force coups de coude et force invectives échangées que nous parvînmes à nos stalles.

Le cirque de Malaga est d’une grandeur vraiment antique, et peut contenir douze ou quinze mille spectateurs dans son vaste entonnoir, dont l’arène forme le fond, et dont l’acrotère s’élève à la hauteur d’une maison de cinq étages. Cela donne une idée de ce que pouvaient être les arènes romaines et de l’attrait de ces jeux terribles où