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rayons du soleil plus brûlans encore. Pour comble de torture, j’avais des souliers à semelles minces à travers lesquelles le pavé me grillait la plante des pieds. Pas un souffle d’air, pas une haleine de vent à faire remuer un duvet. On ne saurait rien imaginer de plus morne, de plus triste et de plus sauvage.

En errant au hasard par ces rues solitaires aux murailles couleur de craie percées de quelques rares fenêtres bouchées par des volets de bois et d’un aspect tout-à-fait africain, j’arrivai sans rencontrer je ne dirai pas une ame, mais seulement un corps sur la place de la ville, qui est d’une grande bizarrerie pittoresque. Un aqueduc l’enjambe de ses arcades de pierre. Un plateau taillé sur le sommet de la montagne en forme le sol, qui n’a d’autre pavé que le roc lui-même, ciselé de rainures pour empêcher le pied de glisser. Tout un côté est à pic et donne sur des abîmes au fond desquels on entrevoit dans des massifs d’arbres des moulins que fait tourner un torrent qui semble d’eau de savon à force d’écumer.

L’heure marquée pour le départ approchait, et je retournai à la posada mouillé par ma transpiration comme s’il eût plu à verse, mais satisfait d’avoir fait mon devoir de voyageur par une température à durcir les œufs.

La caravane se remit en marche par des chemins fort abominables, mais très pittoresques, où les mules seules peuvent tenir pied : j’avais mis la bride sur le col à ma bête, la jugeant plus capable de se conduire que moi, et m’en rapportant entièrement à elle pour franchir les mauvais pas. Plusieurs discussions assez vives que j’avais déjà soutenues avec elle pour la faire marcher à côté de la monture de mon camarade m’avaient convaincu de l’inutilité de mes efforts. Le proverbe, têtu comme une mule, est d’une véracité à laquelle je rends hommage. Piquez une mule de l’éperon, elle s’arrête ; frappez-la d’une houssine, elle se couche ; tirez-lui la bride, elle prend le galop ; une mule dans la montagne est vraiment intraitable, elle sent son importance et en abuse. Souvent, au beau milieu de la route, elle s’arrête subitement, lève la tête en l’air, tend le col, contracte ses babines de façon à laisser voir ses gencives et ses longues dents, et pousse des soupirs inarticulés, des sanglots convulsifs, des gloussemens affreux, horribles à entendre, et qui ressemblent aux cris d’un enfant qu’on égorgerait. Vous l’assommeriez pendant ses exercices de vocalise sans la faire avancer d’un pas.

Nous marchions à travers un véritable Campo-Santo. Les croix de meurtre devenaient d’une fréquence effrayante ; aux bons endroits,