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DES DERNIERS TRAVAUX SUR PASCAL.

juger Descartes : sa gloire n’est pas en cause, et ses erreurs en physique ont déjà été assez souvent proclamées pour qu’on n’ait pas besoin d’y revenir. Il est bon de constater néanmoins ce fait, qu’après avoir tâché de rabaisser Pascal, M. Cousin, peu rassuré sur le succès de son entreprise et fort inquiet au sujet de quelques mots qu’un homme qui, à son avis, n’appartenait pas aux grandes intelligences de l’humanité avait laissé tomber sur un chiffon de papier, a voulu attaquer ce jugement d’une autre manière. Il a dit que Pascal, avant de mourir, avait barré et effacé lui-même ce paragraphe téméraire. Pour discuter cette dernière assertion, il faut que nous rappelions ici comment a été formé le manuscrit autographe des Pensées qui est à la Bibliothèque royale.

On sait que Pascal, lorsqu’il arrêtait son esprit sur un sujet quelconque, avait l’habitude de dicter ou d’écrire sur le premier morceau de papier venu ses réflexions et ses pensées. On dirait même, d’après ce qui nous en reste, qu’il affectait de ne se servir que de chiffons de papier dont plusieurs n’avaient pas trois pouces de long. Était-ce encore par humilité qu’il en usait ainsi ? Nous n’en savons rien. Toujours est-il qu’après sa mort on réunit ces petites notes, et qu’on les mit ensemble, soit en les collant sur des feuilles de papier, soit en les encadrant de manière à donner à chaque feuillet des dimensions uniformes. Il résulte de là que ces fragmens sont placés au milieu de chaque page, et que les marges de ce volume, postérieur à la mort de Pascal, sont formées d’un autre papier. Ce manuscrit, déposé d’abord à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, passa ensuite à la Bibliothèque royale, et c’est là que nous avons pu l’examiner. Or, la pensée dont il s’agit et qui commence : « Il faut dire en gros ; cela se fait par figure et mouvement, » est effectivement barrée dans le manuscrit original et dans les deux anciennes copies qui existent à la même bibliothèque ; mais ce n’est pas Pascal qui l’a effacée. D’abord, il aurait été bien plus naturel de jeter ce petit morceau de papier, que de le conserver soigneusement ainsi barré, si l’auteur avait voulu le détruire. Ce qui prouve d’une manière indubitable que ce n’est pas la main de Pascal qui a fait cela, c’est qu’il y a plusieurs pages ainsi effacées, et qu’en certains endroits relatifs à la philosophie les barres (ou pour mieux dire les tortillons) qui traversent tout le papier, se prolongent jusque dans les marges du volume, qui sont postérieures, comme on vient de le dire, à la mort de Pascal. C’est là une démonstration catégorique qui ne permet pas de supposer que Pascal ait condamné cette boutade, comme l’avance M. Cousin.