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qui anime et qui plaît. Ils se seraient aussi mieux pénétrés de la grandeur du sujet, et ils n’auraient pas été tentés d’introduire dans une biographie si étendue et si bien circonscrite à la fois des morceaux qui ne s’y rattachaient que de loin. L’influence de Pascal fut si vaste, son génie si élevé, qu’on n’a pas besoin de chercher ailleurs les élémens d’un grand travail. L’histoire de la langue française à laquelle il donna une nouvelle forme, les débats de Port Royal avec les jésuites, débats qu’il a su rendre immortels ; l’histoire des sciences qui lui durent au XVIIe siècle de si notables accroissemens, et auxquelles, pour nous servir des paroles de M. Villemain, il emprunta les armes les plus irrésistibles de sa parole ; et enfin l’histoire de son ame, de cette ame dévorée par le doute, que la géométrie tint toujours captive, et qui n’échappa au scepticisme que par la superstition : voilà quelles sont les bases d’une biographie de Pascal, dans laquelle viendraient aboutir à la fois l’histoire littéraire et l’histoire religieuse du XVIIe siècle. À une époque comme la nôtre, où l’on fait tant d’efforts pour répandre de nouveau les pratiques de la religion dans la société, il aurait été utile de rappeler par quels moyens Port-Royal subjugua et ramena vers Dieu ces générations qui avaient fourni une si ample moisson de scandale à Tallemant des Réaux. Ce ne fut pas en cherchant des accommodemens avec le ciel, ni en prêchant une espèce de christianisme à la Watteau, que ces austères cénobites purent lutter à la fois contre Louis XIV et contre les jésuites. Après que le duc de Luynes eut donné Vaumurier à Port-Royal, le Dauphin, étant un jour à la chasse, vit ce beau château et résolut de le faire demander par le roi pour y placer sa maîtresse. À peine la mère Angélique de Saint-Jean, qui était alors abbesse de Port-Royal, en fut-elle avertie, qu’elle envoya chercher des ouvriers et leur fit détruire de fond en comble ce château. C’est par des actions pareilles, et non pas en faisant annoncer dans les gazettes que tel jour il y aura dans une certaine église de belles fleurs, une excellente musique et de jolies quêteuses, qu’on rend les hommes à Dieu et à la pratique de la morale.

Nous le répétons : le caractère de Pascal n’a pas été assez étudié par ses apologistes. Pour faire mieux comprendre la fougue qu’il déploya dans la lutte contre les jésuites, il aurait fallu le montrer tel qu’il fut, toujours dominé par la passion. Avant sa conversion, Pascal faisait une dépense excessive : il était, suivant l’expression de la mère Angélique Arnauld, dans la vanité et les amusemens, et menaçait de faire un procès, parce que sa sœur lui demandait sa dot pour entrer à Port-Royal. Lorsque M. Singlin l’eut réconcilié avec Dieu,