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Celui qui prend la gloire pour fiancée ne la conduit pas sous son toit au milieu de sa famille ; il n’en fait pas la compagne d’une vie qui continue à s’écouler sous l’ombrage du verger paternel ou dans le coin du foyer. Au lieu de la faire entrer dans sa maison, il quitte sa maison pour elle. Dans son aveugle et sublime amour, il lui fait le sacrifice des pieux attachemens, des anciennes amitiés et des ardentes tendresses. Les poètes ne ressemblent pas seulement aux conquérans par l’insatiable ardeur de leurs désirs, mais encore par l’effrayante puissance dont ils ont besoin pour subir l’isolement d’une errante destinée. Parmi ceux qui ont élevé à la gloire de l’intelligence les monumens les plus durables, combien peu en pourrait-on citer, qui, chefs honorés d’une race, soient descendus dans un caveau destiné à recevoir, après eux, une longue suite d’enfans ! Rois d’un empire qui ne se transmet pas, ils meurent sans laisser d’héritiers. Une existence passée tout entière dans cette solitude où la royauté du génie vous relègue comme les autres royautés, une existence sans les plaisirs réglés, le bonheur intime, les affections fidèles et familières, peut-elle convenir à une femme ? Personne n’oserait le dire. La femme, en dehors de la famille est un être en dehors du monde pour lequel il a été créé. Cela est si vrai, que je défie le plus grand peintre de faire, avec une Corinne ou une Sapho, sur les rives de la Méditerranée, un tableau qui remue autant l’ame que l’image de la plus humble et de la plus obscure des mères auprès du berceau de son enfant.

Il y a bien encore cependant, outre l’idée du berceau et du foyer, enfin de la vie chaste et cachée, tout un autre ordre de pensées qu’éveillent aussi les femmes. À côté de celles qui accomplissent l’austère destinée que leur a faite la loi chrétienne, il y a celles qui n’ont pas cessé de suivre la loi antique, qui vivent pour recevoir et donner du bonheur, on comprend de quel bonheur je parle : c’est de celui qui fait songer à Lesbie. Il est pour celles-là des trésors d’indulgence, même dans le cœur de Dieu, voyez Madeleine ; en tout cas, il est certain qu’elles ne sont pas en révolte contre la nature. On sait pourquoi elles ont des yeux où semble rire une promesse, des chevelures qui n’ont qu’à se dénouer pour répandre des trésors, et des bouches qui s’ouvrent avec cet air d’attente qu’exprime le calice des fleurs. Un homme qui, par le merveilleux éclat de son style a mis son nom au nombre de ceux qu’on est obligé de citer, malgré les souvenirs scabreux qu’il réveille, Béranger, dans une des