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LA TROISIÈME RELIGION DE LA CHINE.

comme le plus grand des bonheurs, et la piété filiale est magnifiquement célébrée. Une légende expressive raconte qu’un fils, allant voir son père malade, trouva un tigre sur son chemin. Il continua courageusement sa route, et le tigre recula, désarmé par l’accomplissement de ce devoir sacré.

Certaines superstitions, qui paraissent très anciennes et indigènes sur le sol de la Chine, sont entrées dans le corps d’idées morales propres aux tao-ssé. Telle est l’intervention des génies, et en particulier celle du génie du foyer, génie natif d’un peuple où toute la société repose sur la pierre du foyer domestique.

Les astres, qui avec les génies semblent s’être partagé les hommages religieux des Chinois aux époques les plus anciennes, à ces époques primordiales dont les Kings offrent le tableau ; les astres, pris apparemment pour les génies qui leur sont attachés, figurent d’une manière bizarre dans la morale des tao-ssé : les trois conseillers et le boisseau du nord inscrivent sur un livre, y est-il dit, les crimes et les fautes des hommes. Or, les trois conseillers et le boisseau du nord sont des étoiles de la grande ourse.

Le livre des Récompenses et des Peines montre à quel point la doctrine philosophique de Lao-tseu a passé à l’état de religion. Le philosophe est devenu pour ses sectateurs un personnage divin, un dieu[1] ; il est parlé des sacrifices offerts par des tao-ssé ; enfin la publication et la propagation de l’ouvrage lui-même ont eu lieu au moyen de souscriptions pieuses inspirées par un zèle analogue à celui que mettent les méthodistes à répandre leurs traités religieux. M. Julien donne sur ce sujet de curieux détails : « Dès qu’une édition est épuisée, les personnes qui en possèdent les planches ouvrent une souscription qui se trouve promptement remplie. Les uns donnent de l’argent, les autres du papier, d’autres, qui savent imprimer, se chargent volontairement du tirage. Si les planches sont usées, on trouve sans peine une foule d’artistes qui offrent de les graver sans frais. Les exemplaires sont en grande partie distribués aux indigens qui n’auraient pas le moyen de les acheter. »

Passons maintenant de la doctrine populaire des tao-ssé, contenue dans le Traité des Récompenses et des Peines, à la doctrine abstraite et métaphysique renfermée dans le livre de Lao-tseu, qui a pour titre Livre de la Voie et de la Vertu.

  1. « Lao-tseu a ordonné aux esprits de parcourir le monde et d’examiner l’une après l’autre les actions des hommes. » (Traité des Récompenses et des Peines, p. 28.)