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LES VANLOO.

Elle allait souvent lire ou rêver dans l’atelier, sous les yeux de son père, qui avait bien de la peine à lui arracher trois paroles. Il lui demandait conseil sur ses têtes de saintes ou de déesses païennes, elle ne répondait pas, mais son père l’avait vue. « Bien, très bien, ma fille, ne m’en dis pas davantage. »

Un matin, plus pâle et plus rêveuse que de coutume, elle descend à l’atelier ; n’y voyant pas Carle Vanloo, elle va s’asseoir sur son fauteuil, devant une toile à peine barbouillée de quelques coups de pinceau ; elle prend un crayon et se met à dessiner. Son père, qui la suivait, entre en silence dans l’atelier ; frappé de l’air inspiré de sa fille, il s’avance derrière un grand tableau tout en murmurant : « Voilà bien les Vanloo, ils savent dessiner avant d’avoir appris. »

Au bout de quelques minutes, Caroline Vanloo dépose son crayon, tout en contemplant la figure qu’elle vient de tracer. Carle Vanloo va vers elle ; apercevant tout à coup son père sans l’avoir entendu venir, elle pousse un cri :

— Tu m’as fait peur, lui dit-elle en lui tendant la main.

À cet instant, le pauvre père pâlit, il a vu la figure dessinée par sa fille ; cette figure, c’est la Mort. Voilà bien le linceul qui laisse entrevoir le sein lugubre de la seule femme sans mamelles, voilà bien les pieds qui font le tour du monde en creusant une fosse à chaque pas, voilà bien la faulx terrible de l’éternelle moisson ! Ce qui surtout effraie Vanloo, c’est la tête de cette funèbre création ; Caroline Vanloo, sans le savoir peut-être, a donné ses traits angéliques à la Mort ; ces traits sont à peine indiqués ; tout autre que Vanloo ne reconnaîtrait pas là Caroline, mais Vanloo ! Vanloo le peintre ! Vanloo le père !

— Enfant, dit-il en cachant ses larmes par un éclat de rire forcé, ce n’est jamais par-là que l’on commence ; lève-toi, je vais te donner une leçon.

Caroline se lève en silence. Carle Vanloo s’assied, efface d’une main agitée le dessin de sa fille, moins les traits de la figure, prend la sanguine, et se hâte de faire une métamorphose. Déjà la tête s’anime d’un joli sourire, voilà des cheveux bouclés qui flottent au vent printanier ; un gracieux contour passe sur les épaules, des ailes légères y sont attachées ; ce n’est plus la Mort, c’est l’Amour.

Le peintre, sans désemparer jette quelques accessoires, un carquois et des fleurs, des colombes qui se béquettent, en un mot tout l’attirail mythologique. Caroline, qui regarde par-dessus l’épaule de son père, suit son crayon avec un sourire doux et amer à la fois.

Quand Carle Vanloo eut fini, fini de dévorer ses larmes, il se tourna vers sa fille :