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LES VANLOO.

temps-là les passions de la première jeunesse le détournèrent un peu de l’atelier. Malgré les remontrances de son frère, il dépensait les plus belles heures de la journée avec les comédiens et les comédiennes, qui l’accueillaient en enfant gâté pourvu qu’il crayonnât leur portrait. De ces portraits-là, Carle en faisait jusqu’à dix par jour. Jean-Baptiste, partant pour Paris, parvint non sans peine à l’emmener avec toute sa famille. Carle n’obéit qu’en se promettant bien de retourner au plus tôt à Rome. À son arrivée à Paris, il alla à Fontainebleau restaurer les peintures du Primatice. À peine de retour, il s’abandonna plus que jamais à ses jeunes et vertes passions ; son frère, devenu calme et grave, lutta vainement pour le retenir dans le bon chemin « Ce diable de garçon finira mal, disait Jean-Baptiste ; il semble qu’il ait toujours dans le cœur la bombe qui a éclaté sur son berceau. » Carle, ennuyé des remontrances de Jean-Baptiste, quitta un beau jour l’hôtel de Carignan pour n’y plus revenir. Où alla-t-il ? Droit à l’Opéra, où il devint eu peu de temps le décorateur le plus recherché. « C’est indigne de votre talent, lui dit Boucher. — Le talent est une belle chose, répond Carle Vanloo, mais j’aime mieux encore l’argent, le plaisir, le jeu, les femmes ; » et, disant cela, il entraîne Boucher dans les mêmes erreurs. L’Opéra n’y perdit pas ; ils prodiguèrent bien des roses et bien des cupidons sur les ciels, les forêts et les jardins de pacotille. On parla beaucoup des ingénieuses magnificences de leurs fougueux pinceaux ; on parla beaucoup aussi de leurs aventures avec les espaliers (figurantes ou choristes) ; mais ces aventures sont plutôt une page de la vie de Boucher.

En 1727, Carle Vanloo partit pour Rome avec Boucher et deux des fils de Jean-Baptiste, Louis-Michel et François Vanloo. Cette fois le noble amour de l’art avait pris le dessus sur les folles passions. Presqu’à son arrivée, Carle remporta le prix de dessin à l’académie de Saint-Luc. Le sujet était le festin de Balthazar. Carle avait dessiné, à la sanguine, sur du papier blanc ; une estompe moelleuse y avait imprimé des masses vigoureuses et légères en fixant un contour plein de finesse. Le pape le créa chevalier, mais Carle se souciait bien d’être chevalier du pape ; ce qu’il voulait, ce qu’il attendait, c’était la pension de l’Académie de peinture de France. Grace au cardinal de Polignac, il l’obtint. Se voyant en si bonne odeur de sainteté, il entreprit plusieurs tableaux religieux, une sainte Marthe et un saint François pour les cordeliers de Tarascon, le mariage de la Vierge pour le pape. Il peignit en même temps le remarquable plafond de l’église Saint Isidore. Le bruit de son talent se répandit vite comme le bruit d’une