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AFFAIRE DE LA CRÉOLE.

ont conduit dans le port de Nassau. Certes, aux yeux des Américains, selon leurs lois, ce sont là des crimes, des crimes énormes mais la raison, la justice éternelle, demandent avant tout dans quel but, dans quelles circonstances ces faits ont eu lieu. Il ne suffit pas de mettre un homme à mort, de le tuer sciemment, volontairement, avec préméditation, pour être un assassin. De même toute insurrection n’est pas une révolte. Le voyageur qui tue le brigand qui l’attaque, le soldat qui exécute un arrêt de la justice militaire, ne sont pas des criminels. Les fondateurs de la liberté américaine n’étaient pas des scélérats dignes de figurer à Tyburn ou de peupler Botany-Bay. Ils avaient cependant foulé aux pieds les lois de l’Angleterre, violé leurs sermens, pris les armes contre la couronne, tué ses soldats, détruit ses propriétés.

C’est ici, monsieur, que vous devez mettre le doigt sur le sophisme de M. Wheaton.

Que dit-il en effet en cherchant à résoudre la seconde des trois questions qu’il s’est proposées ? Toute son argumentation peut se résumer ainsi : ces nègres sont des esclaves selon les lois de l’Amérique ; l’Amérique, maîtresse d’elle-même, pays autonome, a le droit de faire telles lois que bon lui semble ; ces lois, on peut les critiquer, mais nul n’a le droit de les tenir pour non avenues ; ce serait méconnaître l’indépendance de l’Amérique, ce serait vouloir lui imposer d’autres lois que les siennes ; dès-lors comment admettre qu’on puisse aider ces hommes à fouler aux pieds les lois de leur pays, à jouir des résultats d’un grand crime, à dépouiller leurs maîtres d’une propriété qui leur est garantie par les lois américaines ? On veut donc imposer à l’Amérique les nouveaux principes de l’Angleterre en matière d’esclavage ! Ces principes peuvent être bons en eux-mêmes : l’esclavage est sans doute chose déplorable ; mais tant que l’Amérique ne se décide pas elle-même à l’abolir, les nations qui vivent en bonne intelligence avec elle doivent le respecter comme les gouvernemens constitutionnels respectent les gouvernemens absolus, comme les républiques respectent les monarchies, comme les monarchies respectent les gouvernemens républicains.

Rappelez-vous, monsieur, les pages de M. Wheaton et avouez qu’en les résumant, je n’ai pas cherché à affaiblir les argumens du publiciste américain. Tout repose sur deux propositions : les nègres reçus à Nassau venaient de commettre un grand crime ; les Anglais doivent, quoi qu’ils en pensent, respecter les lois de l’Amérique.

De ces deux propositions, la première, prise en elle-même et indé-