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AFFAIRE DE LA CRÉOLE.

çoit-on rien de plus immoral qu’un gouvernement disant à un autre gouvernement : L’homme qui me demande asile n’a rien fait qui me paraisse devoir attirer sur lui la vindicte publique ; mais n’importe, le voici, prenez-le, et faites-en avec lui à votre fantaisie. Vos lois sont absurdes, votre justice inique ; c’est égal, je ne viens pas moins vous prêter aide et assistance, et vous fournir des victimes.

Cette première condition en entraîne une seconde qui est, pour ainsi dire, l’exécution et la garantie de la première.

Si l’extradition ne doit être accordée que pour des crimes graves et de droit commun, il est indispensable d’écrire dans le traité la liste des crimes pour lesquels l’extradition est stipulée. C’est la pratique des nations civilisées. Mais comment former cette liste qui doit être commune à deux gouvernemens, s’il n’existe aucune ressemblance, aucune analogie entre les législations pénales des deux pays ? si elles diffèrent profondément l’une de l’autre par le langage et l’arrangement technique des élémens dont elles se composent ? Que faire si, par exemple, les mots d’assassinat, de meurtre, de banqueroute, de faux, de brigandage, ne se trouvent pas également dans les deux législations, ou s’ils s’y trouvent, ce qui est encore plus dangereux, avec des significations diverses ? Sans doute ce ne sont pas là des difficultés insurmontables ; la diplomatie pourrait les vaincre par des recherches patientes et approfondies, si, moins confiante en elle-même, elle parvenait à se convaincre que, dans beaucoup de cas, des études sérieuses lui sont nécessaires, et que, s’il importe de conclure des traités, il est encore plus important de n’en pas signer qui compromettent des principes sacrés, et qui blessent la conscience publique. Malheureusement, l’histoire des traités diplomatiques, considérés sous le rapport des questions de droit qu’on se proposait de résoudre, prouve que trop souvent les négociateurs prenaient peu de souci de ces questions.

Quoi qu’il en soit, empressons-nous d’arriver à la troisième condition, qu’il importe de vérifier lorsqu’on ne veut pas qu’un traité d’extradition soit une insulte à l’humanité et à la morale. Il faut s’assurer que, dans le pays avec lequel on contracte, l’administration de la justice pénale repose sur des principes que la raison avoue et qu’elle repousse ces horribles moyens qui ont si long-temps déshonoré et qui déshonorent encore dans plus d’un pays la justice humaine. Qui voudrait livrer un homme à des juges comptant au nombre de leurs moyens d’instruction la torture ? qui voudrait avoir quelque chose de commun avec ces tribunaux qui, tout en déclarant que le prévenu