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réservé et discret dans toutes ses démarches ; montrez-moi comment vous pourrez tellement changer le caractère d’un Anglais, que son landlord ne puisse pas savoir une année d’avance comment il votera. Montrez-moi comment vous ferez que dans un club, ou à un dîner, ou dans la familiarité de la vie privée, il ne trahisse pas ses opinions. »

Lors même que l’électeur anglais saurait contenir l’expression de ses opinions, le secret du scrutin le mettrait-il à l’abri de la vengeance du plus fort ; et ne pourrait-il pas arriver, au contraire, que, dans le doute, l’innocent, comme le coupable (aux yeux du landlord), serait l’objet des mêmes soupçons et enveloppé dans la même persécution ?

Toutefois, on ne peut nier que le scrutin secret ne dût exercer une certaine influence sur le système d’intimidation, et que, dans des comtés et des villes où le nombre des électeurs serait considérable, les fermiers et les marchands ne dussent y trouver un abri contre l’inquisition des landlords ; mais, pour ce qui concerne la corruption, les partisans les plus décidés du scrutin secret conviennent eux-mêmes qu’il ne ferait qu’élargir la plaie.

En effet, on peut raisonnablement attendre qu’il se trouvera encore plus d’électeurs prêts à se laisser corrompre en secret, qu’il ne s’en trouvait prêts à se vendre en public. Il arrivera aussi que certains électeurs se feront payer des deux côtés et recevront des deux mains, car un homme qui a la conscience assez large pour se vendre une fois ne fera aucune difficulté de se vendre deux fois. Et si les candidats veulent éviter ces chances de mystification, et ne pas perdre leur argent, qu’arrivera-t-il encore ? C’est qu’ils commenceront par faire du succès la condition du paiement ; au lieu de payer avant, ils ne paieront qu’après ; au lieu d’acheter des partisans, ils annonceront à son de trompe qu’ils ont déposé une centaine de mille francs chez un banquier de la ville, et que, s’ils sont nommés, il en sera fait une répartition générale à tous les votans, amis ou ennemis. Ce sera l’enchère érigée en système.

Les adversaires du scrutin secret le combattent encore par d’autres raisons plus spécieuses que solides, et où l’on retrouve ce singulier caractère de libéralisme que l’aristocratie anglaise apporte presque toujours dans ses maximes politiques. Le scrutin secret, disent-ils, serait une atteinte au droit des classes non représentées. Le droit de suffrage est déjà un degré de représentation ; le citoyen qui en est investi est responsable auprès du public de son droit d’électeur comme le représentant est responsable auprès de ses constituans de