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MŒURS ÉLECTORALES DE LA GRANDE-BRETAGNE.

ruption. Voilà tout ce que je sais ; mais c’est uniquement une impression qui m’est restée dans l’esprit.

L’impression qui restera dans l’esprit du public sera-t-elle plus forte que celle qui est restée dans l’esprit de M. Larpent ? Nous avouerons franchement que nous en doutons beaucoup. Ces singulières révélations excitent en Angleterre beaucoup plus de curiosité que de scandale : au dedans du parlement, c’est à qui témoignera la plus profonde horreur pour la corruption ; mais au dehors, dans les clubs, dans les conversations privées, dans les couloirs même de la chambre, ces aventures électorales sont regardées comme tout-à-fait inoffensives, et sont un sujet inépuisable d’hilarité. De tout temps, on a voulu réprimer la corruption par des lois, et toujours les lois sont venues échouer contre les mœurs. Il en sera ainsi tant que le sentiment public n’aura pas condamné la vénalité. Les lois ne font pas le sens moral, elles le suivent.

Puisque la législation directe ne peut atteindre la corruption électorale, faut-il chercher un remède à ce mal profond dans de plus larges réformes ? Cette question nous amène à l’examen d’une mesure qui a été bien des fois proposée et discutée dans le parlement, et qui a toujours été repoussée par les hommes qui veulent le maintien des institutions aristocratiques, par les whigs comme par les tories, par lord John Russell comme par sir Robert Peel : nous voulons parler du scrutin secret, qu’on appelle en Angleterre ballot.

L’usage du scrutin secret en Angleterre serait-il compatible avec les institutions du pays telles qu’elles existent aujourd’hui ? Nous ne le croyons pas. De plus, le scrutin secret serait-il véritablement efficace, et servirait-il de frein à l’intimidation et à la corruption ? Nous ne le croyons pas davantage. D’abord, le scrutin serait-il réellement secret dans un pays où il y a huit cent mille électeurs, où toutes les questions possibles, religieuses, politiques, commerciales, financières, se discutent à ciel ouvert, ou à table ; où la législation directe reçoit l’impulsion d’un nombre infini de législations indirectes qui s’organisent et siègent en dehors d’elle, et où le premier fondement des mœurs politiques est et a toujours été une publicité sans bornes ? « Je veux bien croire, disait lord John Russell, que d’ingénieuses personnes ont porté à la dernière perfection le mécanisme de l’urne du scrutin, et qu’elles ont trouvé un certain moyen de placer dans une chambre une certaine mécanique qui assurera aux votes le plus inviolable secret ; mais dites-moi, je vous prie, par quelle sorte de mécanisme vous rendrez un fermier anglais ou un marchand anglais