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MŒURS ÉLECTORALES DE LA GRANDE-BRETAGNE.

Ailleurs aussi, c’est M. O’Connell qui menace les électeurs qui ne voteraient pas pour les candidats catholiques de faire marquer leur porte avec des os en croix et une tête de mort. Ou bien, c’est un prêtre qui, du haut de la chaire, dit aux électeurs récalcitrans : « Vous ne faites plus partie de notre église ; sortez du lieu saint : vos femmes vous abandonneront, la vengeance du ciel tombera sur vous en ce monde, et vous entrerez dans l’autre monde avec la marque de Caïn sur le front. »

Sans aller plus loin qu’aux dernières élections, celles de 1841, nous pourrions rencontrer des exemples nombreux de ce genre d’intimidation. Nous en choisirons quelques-uns dans les dépositions qui ont été faites devant les comités d’enquête de la chambre des communes. Un électeur de Cork dépose ainsi : « Je vis une grande foule avec des branches vertes, qui attaquait les électeurs conservateurs. Un nommé Woods, qui avait voté pour Leader, fut suivi par des gens en guenilles ; je courus après lui, et je vis deux hommes qui l’assommaient à coups de bâton. Je ne voulus plus voter ; j’eus peur, et j’allai avertir mon père et mon frère, pour les empêcher de venir voter. »

Un autre dépose dans les termes suivans : « Je venais de voter, quand je fus assailli dans la rue par une bande nombreuse. Un de ces hommes me jeta mon chapeau par terre, un autre me donna un coup de bâton sur la tête. Je me jetai dans une boutique ; j’avais la tête entamée, et je saignais abondamment. »

Les électeurs sur lesquels on voulait exercer « l’intimidation » étaient marqués à la craie sur le dos. On les enlevait, on les emportait dans des maisons, et on leur faisait prêter serment de voter pour tel ou tel candidat. Un autre électeur de Cork dépose ainsi : « Je fus traîné jusqu’à la maison de M. Donovan, le prêtre catholique. On fut quelque temps à ouvrir la porte, et je reçus nombre de coups de pieds. Je fus gardé dans la maison du prêtre pendant une heure et relâché sous la condition que je voterais pour O’Connell, ce que je promis de faire. »

Il faut rendre justice aux entrepreneurs d’élections ; ils y mettaient de l’humanité, et, quand ils avaient fait des blessés, ils avaient soin de leur amener des médecins pour les panser. « J’eus la tête ouverte par une pierre, dit un de ces malheureux hommes libres ; plusieurs autres avec moi furent blessés. Nous nous réfugiâmes dans une auberge d’où l’on nous empêcha de sortir ; on fit venir un chirurgien pour nous panser. »