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Aujourd’hui, forte de ses conquêtes récentes, la chimie revient à la charge. Sera-t-elle plus heureuse que par le passé ? Ramener la digestion à n’être plus qu’une dissolution, faire de la nutrition un phénomène d’absorption, trouver dans la combustion du carbone et de l’hydrogène la cause unique de la chaleur animale, déchirer ainsi tous les voiles qui nous ont caché jusqu’à ce jour le mécanisme de ces fonctions, et ramener les principaux actes de la vie à une simple application des lois ordinaires de la matière, serait un fait immense dans les annales de l’esprit humain, un de ces évènemens scientifiques dont il est impossible de prévoir toutes les conséquences. Nous ne croyons pourtant pas que l’on soit encore si près du but. Sans doute, les progrès accomplis depuis un demi-siècle par la physique et la chimie ont quelque chose de merveilleux ; mais ces sciences sont encore loin de pouvoir rendre compte de tous les phénomènes physiologiques : elles ont à dégager bien des inconnues dans leurs propres domaines, avant d’en venir à ces hautes applications. Il serait possible, par exemple, d’indiquer les travaux préliminaires qu’elles devraient entreprendre et mener à fin, avant d’aborder avec quelque certitude le problème de la chaleur animale.

Applaudissons toutefois à ces efforts hardis de la science. Dans les êtres séparés de la matière brute par l’organisation, deux principes sont sans cesse en présence. Au milieu des actes de la vie, les matériaux qu’elle met en jeu ne peuvent échapper à leur nature. Toujours ils se ressentent de leur origine inorganique, et se refuser à reconnaître dans les êtres vivans des actions physiques et chimiques serait vouloir nier l’évidence. Ame et corps, c’est-à-dire intelligence, organisation et matière, l’homme lui-même présente une triple série de phénomènes distincts dans leur essence, mais qui réagissent sans cesse les uns sur les autres et se masquent réciproquement. Faire la part de ces trois causes est une entreprise aussi belle que difficile. Le succès intéresse également le psychologiste et le physicien, le philosophe et le physiologiste. Qu’on ne s’alarme donc pas de cette tendance à explorer les êtres vivans comme des corps inorganiques, qu’on n’y voie pas, avec quelques esprits d’ailleurs distingués, une résurrection des tristes théories du matérialisme ; rien de plus propre au contraire à montrer tout ce qu’il y a de vide sous cette désolante doctrine, qui n’aperçoit dans la nature que des forces brutales fonctionnant à l’aveugle sous l’impulsion du hasard.

À ce point de vue, l’Essai sur la Statique chimique des êtres organisés nous paraît une œuvre tout-à-fait hors de ligne, et digne en