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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

cessé un seul jour. Pendant que les Mirdites bloquaient les Turcs dans les forteresses du nord, les phars de Kimara, des Philatis, de Margariti tenaient en haleine les Turcs de Janina. L’ame de cette coalition maritime était le port de Parga adossé à la fameuse montagne de Souli. La république souliote devint de plus en plus puissante jusqu’à ce qu’Ali-Pacha crut enfin devoir diriger contre elle toutes les forces musulmanes de l’Albanie. Il ne réussit qu’après douze années de luttes à détruire les Souliotes ; leur chute entraîna successivement celle de toutes les tribus maritimes, et Parga elle-même fut vendue, en 1819, au pacha d’Épire par l’Angleterre.

Pendant que l’Albanie hellénisée voyait ses phars chrétiens subir le joug des tribus musulmanes et toskes, dirigées par Ali-Pacha, il se passait dans l’Albanie mirdite et septentrionale des scènes non moins tragiques, d’une portée sociale non moins vaste, et qui tournaient finalement à l’avantage des chrétiens. Pour avoir une idée complète de ces évènemens auxquels l’Europe n’a fait aucune attention, quelque importans qu’ils fussent pour l’avenir de l’Adriatique et de la Turquie, il faut remonter jusqu’à la révolution française.

Joseph II régnait à Vienne, et tâchait d’exploiter à son profit l’élan des peuples vers l’indépendance. Les Mirdites cherchaient un nouveau Skanderbeg, et le visir de Skadar, Mahmoud-Basaklia, qui, descendant du héros albanais, affectait un grand penchant pour les chrétiens, n’eut pas de peine à gagner la faveur des tribus mirdites. En 1786, l’Autriche proposa au visir Mahmoud de le reconnaître comme souverain indépendant de l’Albanie dès qu’il aurait reçu le baptême ; dès-lors il ne balança plus à se révolter, et, rassemblant tous les capitaines iliriens et mirdites, tant chrétiens que musulmans, dans un grand sobor (assemblée nationale) à Podgoritsa, il jura avec eux sur l’Évangile et le Koran de combattre jusqu’à la mort les ennemis de leur liberté. Un sénateur de Raguse, Bernard Caboga, vint féliciter et remercier Mahmoud-Basaklia au nom de sa république, et Joseph II lui envoya solennellement une énorme croix en argent massif. Mais, en même temps, à Stamboul, le grand moufti lançait l’anathème sur la tête du visir rebelle ; il le déclarait fermanlia (exclu à jamais du paradis des croyans). Le séraskier de Romélie partit avec trente mille Turcs et arriva, prompt comme la foudre, devant Skadar, où Mahmoud, qui ne l’attendait pas encore, avait à peine deux cents soldats. Fort de l’alliance des capitaines mirdites, Mahmoud s’enferma dans le Rosapha, espérant que ses amis ne tarderaient pas à commencer leurs tchetas contre l’armée envahissante.