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que Pline partage en douze tribus. Ces tribus, laissées dans un dédaigneux oubli par les géographes d’alors, étaient enclavées dans les populations de l’empire romain. Mais, étrangers à ces divisions officielles, les Mirdites, du haut de leurs montagnes, pouvaient sourire en voyant les prétendus maîtres du monde tracer des frontières idéales là où n’atteignait pas leur épée, et déclarer abolies des nationalités qui ne peuvent pas plus disparaître que les climats et les montagnes. Sous les empereurs grecs, les Mirdites continuèrent à vivre obscurs, sans autres lois que leurs mœurs, sans autres chefs que leurs vieillards, jusqu’au jour où l’apparition des Turcs les força enfin de se montrer sur la scène du monde.

Devenus maîtres de l’Albanie par la capitulation de Janina en 1431, les conquérans asiatiques virent bien qu’ils ne pourraient établir leur domination au milieu de ces tribus, s’ils ne provoquaient parmi elles la discorde et l’apostasie, afin d’opposer un jour des phars musulmans aux phars chrétiens. Cette politique réussit chez les Albanais du midi, civilisés et amollis par le luxe ; mais, dans les rudes montagnes de la Mirdita, toutes les tentatives échouèrent. Enfin George Castriote, surnommé Skanderbeg, se mit à la tête des Mirdites, qui commencèrent leur lutte immortelle. Pendant deux règnes consécutifs, ils battirent les Turcs en toute rencontre. Les historiens ont fait de George un roi puissant, qui gouvernait de vastes états ; en réalité, il ne possédait que Croïa, Lissa, Durazzo et la partie du Mousaché qui s’étend sur la rive droite du Berathino ; il n’était que le chef militaire d’une ligue de seigneurs latins, ducs, comtes et barons, devenus par les croisades maîtres de tous les forts de la Mirdita. Nous ne raconterons pas les prodiges de bravoure qui remplirent vingt-quatre années de la vie de Skanderbeg. Le souvenir de cette existence héroïque entoura de terreur et de respect le nom des Mirdites, et leur assura pour des siècles une indépendance, sinon reconnue en droit, du moins admise de fait.

La coalition des clans chkipetars fut rompue après la retraite de Skanderbeg ; mais l’attitude toujours ferme des Mirdites entretint chez les autres Albanais une noble ardeur pour l’indépendance. La grande ville de Janina maintint ses priviléges, et continua de s’administrer à l’intérieur comme une république ; ce ne fut qu’en 1716 qu’elle se vit pour la première fois soumise au haratch. Les tribus chrétiennes de la côte, soutenues par les Mirdites, et pourvues abondamment d’armes et de munitions par les Vénitiens de Corfou, transformèrent la tcheta en croisade, et depuis ce temps la petite guerre n’a plus