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l’Adriatique avec Cattaro. Porto-Raguseo n’est visité aujourd’hui que par quelques barques marchandes sans cesse exposées aux lâches surprises des Liapes, qui, n’osant être pirates ouvertement, tâchent au moins de faire échouer les navires afin de les dépouiller.

Le principal phar des Liapes est celui des Kimariotes, brigands pour la plupart dans les Acrocéraunes, ou corsaires sur les plages que domine le cap de Chimerium. L’acropole homérique de Kimara, au-dessous de laquelle des marchands grecs ont leurs magasins, leur sert à parquer leurs troupeaux et à recueillir leur butin. Après la ville de Kimara vient celle de Drimadès, voisine de Paleassa, l’antique Paleste, où aborda César dans une anse appelée aujourd’hui Kondami. Paleassa conserve l’enceinte pélasgique d’un hiéron où se trouvait, s’il faut en croire les archéologues, le terrible autel des Euménides. Cette plage, au dire des Liapes, est encore infestée par les pagania (loups-garous), qui courent la nuit portant des démons en croupe. Près de là, le vaste port romain de Panormos (Porto-Palermo) n’est pas encore entièrement ensablé et offre un débouché facile à la vallée de Delvino. Ce bassin, le seul de l’Acrocéraunie qui soit cultivé, et où le citronnier, l’olivier, le grenadier, croissent partout, pourrait devenir en d’autres mains que celles des Liapes un vrai jardin des Hespérides. La cité de Delvino s’élève au centre de ces campagnes délicieuses ; quoiqu’elle n’ait que six cents maisons, elle couvre l’espace d’une lieue sur le versant d’une montagne. Le kastro de Delvino, qui surmonte un mamelon isolé, où l’on ne peut gravir que par un sentier fort périlleux, est la résidence du pacha. Au bas de la fière demeure des beys, l’humble varoch renferme les boutiques grecques et le rustique palais de l’évêque. À quelques lieues de Delvino, un pont ogival, qui de loin semble un arc de triomphe, s’élève dans le désert sur le torrent de la Pistritsa au milieu d’énormes tas de ruines appelées Pheniki. Là comme à Nicopolis, parmi les plus élégans débris de l’art grec, se trouvent des piliers octogones et des chapiteaux gothiques du temps de la domination normande : Phenice, que Polybe déclare une des principales métropoles d’Épire, existait donc encore quand les barons français apportaient dans ces régions les institutions latines.

Du côté de l’Épire, la bicoque féodale d’Agios-Vasili (Saint-Basile) marque la limite de l’Acrocéraunie. Du côté de Corfou, les Liapes ont pour boulevards les dangereux écueils qui hérissent la côte de Butrinto (l’antique Butrotum). L’archéologie trouverait une riche moisson à faire dans l’acropole pélasgique de Butrotum, dont le double rem-