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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

Le varoch, quartier marchand de cette ville, qui s’étend au-dessous de la forteresse, n’a plus que quelques milliers d’habitans catholiques. Leur église, dédiée à saint Roc, et restaurée en 1809 par un général français, eut pour fondateurs les Normands, et servait de cathédrale à un archevêque latin. Les persécutions des beys musulmans ont fait fuir l’archevêque à Corbina, dans le canton de Croïa, où les carabines mirdites le protégent au besoin.

Le canton libre de Chounavia et les phars mirdites indépendans couvrent tous les fertiles plateaux qui s’étendent depuis la côte jusqu’au Drin, depuis les monts Poucha et Keroubi jusqu’au vieux castel d’Elbassan. Ce territoire formait autrefois un vaste pachalik, dont le chef résidait à Croïa, l’antique cité des rois d’Albanie, et le dernier boulevard des chrétiens orientaux, maintenant appelée Ak-seraï (palais blanc). Dans ces grands pâturages, les fils de Skanderbeg ont dû, pour rester libres, se former à la vie vagabonde du klephte et du pasteur. Leurs bandes, à demi nomades, environnent la vallée habitée par les Mattes, qui forment la plus puissante d’entre toutes les tribus mirdites, et qui ont la propriété souveraine des deux rives de la Matia. Cette rivière, de vingt-quatre lieues de cours, descend des hautes montagnes où les Mirdites vont tenir, à l’ombre des forêts vierges, leurs assemblées législatives ; là réside leur prink ou chef, qui a sa cour champêtre au village d’Orocher (au rocher), nom que les chevaliers français, conquérans de ces plateaux, donnèrent, dit-on, au lieu où ils se réunissaient en temps de guerre pour soutenir les assauts des musulmans ; mais ce nom, qu’on prononce aussi oroch, pourrait également venir du grec oros, la montagne. La vie libre des Mirdites se retrouve jusque dans le vaïvodlik d’Elbassan, où la ville du même nom, réduite à 4,000 habitans au lieu de 40,000 qu’elle eut jadis, sert encore d’entrepôt commercial pour l’intérieur des terres au port de Durazzo, dont elle a toujours suivi les destinées. À dix-huit lieues d’Ocrida et à douze de Berath, Elbassan occupe un site délicieux sur le rapide et tortueux Tobi (l’ancien Genussus) ; son donjon, flanqué de quatre énormes tours gardées par des beys à moustaches blanches, n’est plus qu’un vain épouvantail pour les rayas latins et grecs des environs, qu’une longue oppression a rendus féroces et a familiarisés avec tous les hasards de la vie de klephte. Aussi les Turcs d’Elbassan vivent-ils sans cesse en alarmes. On peut en dire autant de ceux qui gardent, un peu plus loin, le fort aérien de Kavalia, autour duquel les pâtres