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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

filles délogent aussitôt et s’en vont coucher aux champs. Nulle part, en Orient, on ne trouve d’aussi mauvais hanes que dans ce pays. Les hanes du midi sont des masures en pierre, crénelées comme de petits forts. Ceux de la Mirdita, au contraire, ne sont que de vastes écuries, où l’on dort, où l’on allume son feu, où l’on fait sa cuisine parmi les chevaux, qui souvent, piqués des mouches, renversent d’une ruade le chaudron du voyageur, et avec lui toutes les espérances de comfort prochain dont il se berçait. Mieux vaut coucher sous le platane ou dresser sa tente au désert, sauf à faire veiller son guide pour se préserver des chakals.

Outre la division géographique de l’Albanie en quatre provinces, on pourrait y signaler encore deux grandes zones morales, l’une composée de la Djegarie ou Mirdita et de la Liapourie, l’autre formée par la Djamourie ou l’Épire et la Toskarie. — La première des quatre provinces sur laquelle doit se porter l’attention du voyageur est sans contredit la Djegarie.

Cette vaste région, qui forme à elle seule presque la moitié de l’Albanie, n’est point, pour son malheur, habitée par une seule race. Deux langues, le chkipetar et l’ilirien, s’y disputent l’empire. Les colonies bulgares, dont les usages diffèrent tant des mœurs albanaises, viennent compliquer la question administrative, et la haine réciproque des chrétiens latins et des chrétiens grecs met le comble à la confusion. Pour se faire une idée de ce chaos, il faut partir de Salonik et parcourir lentement les cent quinze lieues qui séparent cette grande ville de Skadar ou Scutari. Le voyageur qui craint les klephtes peut se joindre aux caravanes, et passer par Avret-Hissar, Doïran, Stroumdcha, Istib, Kiouprili, Skopia, Kalkanderen, Prisren et Detchiani, ou bien il peut traverser Koumlekeü, Demircapi, Kafadartsi, Prilip, Monastir, Ocrida, Elbassan. Le lieu de repos le plus agréable sur cette dernière route est la rive du beau lac d’Ocrida. La ville de ce nom, peuplée de quelques milliers de chrétiens avec une garnison turque, se compose de maisons isolées, et couvre, comme toutes les villes albanaises, un immense espace. Ocrida ou Acri (en grec lieu haut et fort) fut bâtie par Cadmus, et décorée d’aqueducs, de bains, de portiques superbes par Justinien, l’empereur gréco-slave, qui était lié dans ses murs, et ne cessa, durant son long règne, de la combler de ses faveurs. De toutes ses richesses, Ocrida n’a conservé que quelques débris d’églises et une enceinte de remparts délabrés souvent pris et repris par Skanderbeg. Le petit konak de l’ayan (gouverneur) de la ville, où se voient deux statues