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que, de tous ceux qui m’écouteraient, il n’y en aurait guère de plus habile, me le ferait faire sans être fort embarrassé ; mais, ayant à parler devant la plus célèbre assemblée de l’Europe et la plus éclairée, je vous avoue, messieurs, que je me trouve un peu étonné. » On peut juger combien cette manière d’introduction vive, galante et véritablement cavalière, dut causer d’admiration, non pas à George de Scudéry, qui était bien capable d’en faire autant, mais à MM. Ballesdens, Leclerc, Giry, Cotin, Cassagnes et Furetière. Il nous fâche seulement de ne pas apprendre que Pierre Corneille se soit penché vers Eudes de Mézeray, pour lui dire : « Monsieur le comte se moque de nous, mais nous l’avons bien mérité. » Du reste, dans sa courte harangue, où il y avait des louanges pour le chancelier et pour le roi, pas un mot n’était dit par le récipiendaire à l’éloge du défunt, qui n’était en effet qu’un homme de talent. Le comte de Bussy, en racontant dans ses mémoires le détail de sa réception, a grand soin d’ajouter : « Il y avait toujours quelques personnes de naissance dans ce corps-là ; il y en aura encore bien davantage à l’avenir. » — « Il faudra pourtant, dit-il ailleurs, y laisser toujours un nombre de gens de lettres, quand ce ne serait que pour achever le dictionnaire et pour l’assiduité que des gens comme nous ne sauraient avoir en ce lieu-là. »

Cependant il paya cher cette petite satisfaction de vanité. Il y a eu dans tous les temps, au fond des provinces, des gens démesurément curieux, qui s’obstinent à demander ce qu’a fait un académicien nouvellement élu. On savait que le comte écrivait ses lettres d’un bon style, net, clair, mordant, disant bien ce qu’il voulait dire. On avait pu apprendre encore que, lorsqu’il se mêlait d’ajouter un peu de travail à ses heureuses dispositions, il pouvait, comme beaucoup de gens d’esprit, faire des vers détestables. Il courait déjà dans les ruelles un recueil de Maximes d’amour, en forme de décisions poétiques ou d’oracles rimés sur les éternelles questions de la controverse galante, qu’il avait lu tout récemment devant le frère du roi, assisté de deux dames dont l’une était la marquise, depuis duchesse de Montausier. Et à ce propos il n’est pas possible de douter que Molière ait pensé à lui dans la vigoureuse apostrophe d’Alceste contre « les honnêtes gens de cour qui se font de misérables auteurs, » tant il y a de fâcheuse parenté entre les Maximes d’amour, et le sonnet d’Oronte : ajoutons que le Misanthrope fut représenté l’année suivante. Mais il y avait encore une autre œuvre de lui plus mystérieusement répandue. En 1669, il avait composé, pour divertir