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de misérables fellahs y passer leur vie ; ils naissent, ils meurent, ils se marient dans ces tristes retraites, et une planche posée sur des débris de momies leur sert de couche ; chose étrange de voir l’homme descendre jusqu’au plus sauvage abrutissement, aux lieux mêmes qui attestent le mieux son génie ! Les Arabes qui habitent les villages au pied de la montagne se réfugient aussi chaque année dans ces grottes quand l’exacteur vient lever l’impôt. On n’ose les y poursuivre, et ils attendent pour descendre, que les officiers du pacha aient quitté Thèbes. Avant eux, du reste, les hypogées avaient déjà été habités. On trouve encore, à quelques endroits, les sculptures recouvertes de plâtre sur lequel on a peint grossièrement des images chrétiennes ; elles furent tracées par la main pieuse de ces solitaires de la Thébaïde, qui venaient chercher dans ces demeures funèbres l’oubli des passions et la mémoire de l’éternité, et ne redescendaient dans le monde que pour quelque grand dévouement, pour quelque œuvre sublime de charité.

Ces tombeaux sont peu de chose cependant auprès de ceux que les Pharaons se sont creusés dans une vallée déserte, au sein des montagnes, loin de tous les regards. On y arrive par une gorge étroite qui se terminait sans doute autrefois en impasse, car la dernière portion du chemin a été taillée de main d’homme. Au bout, un passage étranglé laisse pénétrer dans l’enceinte, qui n’offre pas d’autre entrée. C’est le plus farouche désert ; partout la roche brûlante, pas un filet d’eau, pas trace de végétation : un morne silence pèse sur cette solitude ; les orages viennent quelquefois s’y engouffrer et y verser leurs cataractes. Du reste, les vents ne la rafraîchissent jamais ; les rayons du soleil, réfléchis par la pierre nue, y embrasent l’air ; et la chaleur devient, au milieu du jour, tellement suffocante, que deux soldats de l’escorte de Desaix moururent d’étouffement dans cette fournaise.

Les Pharaons des dynasties thébaines ont fait creuser leurs sépultures dans ce lieu si bien préparé pour les tristesses et le repos de la mort. Leurs tombeaux sont remarquables par la grandeur des salles, la beauté des sarcophages, et le luxe de la décoration. L’un de ces tombeaux avait un escalier souterrain, maintenant obstrué, qui traversait la montagne et conduisait auprès de Thèbes. Tous n’ont pourtant pas ces gigantesques proportions ; il y en a même qui ne sont pas achevés.

Plusieurs offrent des particularités intéressantes ; un surtout est martelé d’un bout à l’autre, excepté dans les parties où se trouvent les images de la mère et de la femme du Pharaon. On sait que les