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demi-lieue de longueur, menait au palais de Karnac, la plus royale demeure que monarque ait jamais habitée. Une suite de pylônes précédés d’obélisques et de colosses l’annonçait magnifiquement. Il suffit de dire que la grande salle n’a pas moins de trois cents pieds de largeur et de cent cinquante de profondeur ; Notre-Dame-de-Paris y serait à l’aise. Le plafond est soutenu par cent trente-quatre colonnes encore debout : quelques-unes ont trente pieds de tour, et cent hommes trouveraient place sur leur chapiteau. Des bas-reliefs d’une sculpture naïve et héroïque, pleine de mouvement et de grandeur, représentent les lointains exploits et le retour triomphal des Pharaons conquérans. Chaque pierre presque y porte le nom ou l’image d’un roi. C’est là sans doute que les Sésostris, entourés de toutes les pompes du pouvoir, voyaient se presser autour de leur trône les chefs du sacerdoce et ceux des guerriers, les princes tributaires, les députés des nations soumises ; c’est là que se décidaient les destinées de tout un vaste monde, à ces âges reculés où l’Europe entière était encore barbare.

De l’autre côté du fleuve, sur la rive occidentale, se trouvent des ruines considérables, restes d’une cité réservée à la fois à la royauté et à la mort, vestiges de palais funéraires où habitaient les prêtres chargés de célébrer les fêtes commémoratives des anciens Pharaons. Quelques-uns de ces édifices le cédaient à peine au palais de Karnac. On remarque encore debout aujourd’hui, parmi les ruines, deux colosses de soixante pieds, assis sur leurs siéges de pierre et taillés chacun d’un seul bloc. On les aperçoit déjà à la distance de quatre lieues comme deux rochers dont l’ombre s’étend au lever du soleil, bien loin sur les montagnes voisines. L’un d’eux est la fameuse statue de Memnon.

La chaîne libyque enveloppe cette partie de Thèbes d’une longue muraille escarpée, où l’on a percé irrégulièrement des centaines d’ouvertures à toutes sortes de hauteurs. Ce sont les grottes que les habitans de la ville royale avaient creusées pour leurs sépultures. Un sentier étroit et difficile y conduit. Les momies sont maintenant entassées dans un affreux désordre. On est obligé de passer sur elles ; elles se brisent sous le poids du corps, et l’on a souvent peine à retirer le pied embarrassé dans les ossemens et les langes. D’innombrables chauve-souris se cachent dans ces ténébreuses retraites : effrayées par la clarté des torches, elles se mettent à voler par milliers et ajoutent encore à l’horreur de ces tristes lieux. Les débris tombés des voûtes obstruent les passages, et l’on est quelquefois obligé de se