Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/287

Cette page a été validée par deux contributeurs.
283
SOUVENIRS DE GRENADE.

saïques de verre, marqueterie de nacre et de burgau, cristaux taillés, miroirs à bizeaux, soleils à rayons, transparens, etc., tout ce que le goût tourmenté du xviiie siècle et l’horreur de la ligne droite peuvent inspirer de plus désordonné, de plus contrefait, de plus bossu et de plus baroque. La bibliothèque, qui a été préservée, se compose presqu’exclusivement d’in-folios et d’in-quartos reliés en vélin blanc, avec le titre écrit à la main en encre noire ou rouge. Ce sont en général des traités de théologie, des dissertations de casuistes et autres productions scolastiques, peu intéressantes pour de simples littérateurs. L’on a formé au couvent de San-Domingo une collection de tableaux provenant des monastères abolis ou ruinés, qui, à l’exception de quelques belles têtes ascétiques, de quelques scènes de martyrs, qui semblent peintes par des bourreaux, tant il y brille une vaste érudition de supplices, n’offre rien de remarquablement supérieur, et prouve que les dévastateurs sont d’excellens experts en fait de peinture, car ils savent fort bien garder pour eux tout ce qu’il y a de bon. Les cours et les cloîtres sont d’une admirable beauté, ornés de fontaines, d’orangers et de fleurs. Comme tout est là merveilleusement disposé pour la rêverie, la méditation et l’étude ! et quel dommage que les couvens aient été habités par des moines, et non par des poètes ! Les jardins, abandonnés à eux-mêmes, ont pris un caractère agreste et sauvage. Une végétation luxuriante envahit les allées ; la nature rentre partout en possession de ses droits ; à la place de chaque pierre qui tombe, elle met une touffe d’herbe ou de fleurs. Ce qu’il y a de plus remarquable dans ces jardins, c’est une allée de lauriers énormes, faisant berceau, pavée de marbre blanc et garnie de chaque côté d’un long banc de même matière à dossier renversé. Des jets d’eau espacés entretiennent la fraîcheur sous cette épaisse voûte verte, au bout de laquelle on jouit d’un point de vue magnifique sur la Sierra-Nevada, à travers un charmant mirador moresque, faisant partie d’un reste d’ancien palais arabe enclavé dans le couvent. Ce pavillon communiquait, dit-on, avec l’Alhambra, dont il est assez éloigné, par de longues galeries souterraines. Cette idée est, du reste, fort enracinée à Grenade, où la moindre ruine moresque est toujours gratifiée de cinq ou six lieues de souterrains et d’un trésor caché gardé par un enchantement quelconque.

Nous allions souvent à San-Domingo nous asseoir à l’ombre des lauriers et nous baigner dans une piscine où les moines, s’il faut en croire les chansons satiriques, s’ébattaient joyeusement avec les jolies