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SOUVENIRS DE GRENADE.

logique et surannée. — Dans une salle assez bien conservée, on remarque une suite de portraits enfumés des rois d’Espagne, qui n’ont qu’un mérite chronologique.

Le véritable charme du Generalife, ce sont ses jardins et ses eaux. Un canal revêtu de marbre occupe toute la longueur de l’enclos, et roule ses flots abondans et rapides sous une suite d’arcades de feuillages formées par des ifs contournés et taillés bizarrement. Des orangers, des cyprès, sont plantés sur chaque bord ; au pied de l’un de ces cyprès d’une monstrueuse grosseur, et qui remonte au temps des Maures, la favorite de Boabdil, s’il faut en croire la légende, prouva souvent que les verroux et les grilles sont de minces garans de la vertu des sultanes. Ce qu’il y a de certain, c’est que l’if est très gros et fort vieux.

La perspective est terminée par une galerie-portique à jets d’eau, à colonnes de marbre, comme le patio des Myrtes de l’Alhambra. — Le canal fait un coude, et vous pénétrez dans d’autres enceintes ornées de pièces d’eau et dont les murs conservent des traces de fresques du xvie siècle, représentant des architectures rustiques et des points de vue. — Au milieu d’un de ces bassins s’épanouit comme une immense corbeille un gigantesque laurier-rose d’un éclat et d’une beauté incomparables. Au moment où je le vis, c’était comme une explosion de fleurs, comme le bouquet d’un feu d’artifice végétal ; une fraîcheur splendide et vigoureuse, presque bruyante, si ce mot peut s’appliquer à des couleurs, à faire paraître blafard le teint de la rose la plus vermeille ! Ses belles fleurs jaillissaient avec toute l’ardeur du désir vers la pure lumière du ciel ; ses nobles feuilles, taillées tout exprès par la nature pour couronner la gloire, lavées par la bruine des jets d’eau, étincelaient comme des émeraudes au soleil. Jamais rien ne m’a fait éprouver un sentiment plus vif de la beauté que ce laurier-rose du Generalife.

Les eaux arrivent aux jardins par une espèce de rampe fort rapide, côtoyée de petits murs en manière de garde-fous, supportant des canaux de grandes tuiles creuses par où les ruisseaux se précipitent à ciel ouvert avec un gazouillement le plus gai et le plus vivant du monde. À chaque palier, des jets abondans partent du milieu de petits bassins et poussent leur aigrette de cristal jusque dans l’épais feuillage du bois de lauriers, dont les branches se croisent au-dessus d’eux. La montagne ruisselle de toutes parts ; à chaque pas jaillit une source, et toujours l’on entend murmurer à côté de soi quelque onde détournée de son cours qui va alimenter une fontaine ou porter la