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ne danse, hélas ! ni jota, ni fandango, ni bolero, ces danses étant abandonnées aux paysans, aux servantes et aux bohémiens, mais bien la contredanse et le rigodon, et quelquefois la valse. Cependant, à notre requête, un soir, deux demoiselles de la maison voulurent bien exécuter le bolero ; mais auparavant elles firent fermer les fenêtres et la porte du patio, qui ordinairement restent toujours ouvertes, tant elles avaient peur d’être accusées de mauvais goût et de couleur locale. Les Espagnols se fâchent en général quand on leur parle de cachucha, de castagnettes, de majos, de manolas, de moines, de contrebandiers et de combats de taureaux, quoiqu’au fond ils aient un grand penchant pour toutes ces choses vraiment nationales et si caractéristiques. Ils vous demandent d’un air visiblement contrarié si vous pensez qu’ils ne sont pas aussi avancés que vous en civilisation, tant cette déplorable manie d’imitation anglaise ou française a pénétré partout. L’Espagne en est aujourd’hui, dans le pire sens du mot, aux idées libérales constitutionnelles et anti-religieuses, c’est-à-dire hostile à toute couleur et à toute poésie. Il est toujours bien entendu que nous parlons de la classe prétendue éclairée qui habite les villes.

Les contredanses terminées, l’on prend congé des maîtres de la maison en disant à la femme a los pies de usted, au mari beso a usted la mano ; à quoi l’on vous répond buenas noches et beso a usted la suya, et sur le pas de la porte, pour dernier adieu, un hasta mañana (jusqu’à demain) qui vous engage à revenir. Tout en étant familiers, les Espagnols restent polis et cérémonieux. Les gens du peuple eux-mêmes, les paysans, les contrebandiers et les voleurs sont entre eux d’une urbanité exquise bien différente de la grossièreté de notre canaille ; il est vrai qu’un coup de couteau pourrait suivre un mot blessant, ce qui donne beaucoup de circonspection aux interlocuteurs. Il est à remarquer que la politesse française, autrefois proverbiale, a disparu depuis que l’on a cessé de porter l’épée. Les lois contre le duel achèveront de nous rendre le peuple le plus grossier de l’univers.

En rentrant chez soi, l’on rencontre sous les fenêtres et les balcons les jeunes galans embossés dans leur cape et occupés à pelar la paba (plumer la dinde), c’est-à-dire faire la conversation avec leurs novias à travers les grilles. Ces entretiens nocturnes durent souvent jusqu’à deux ou trois heures du matin, ce qui n’a rien d’étonnant, puisque les Espagnols passent une partie de la journée à dormir. Il arrive aussi que l’on tombe dans une sérénade composée de trois ou quatre