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cachée dans ses redoutables embuscades ! » Ces détails vous inspirent donc peu à peu pour Électre une certaine sympathie mêlée d’horreur qui froisse l’ame ; mais le poète va l’augmenter encore, car il veut, par les émotions les plus contraires, vous faire sentir tout ce qu’il y a de déchiremens et d’angoisses dans certaines situations de la vie. Voici donc Clytemnestre elle-même à qui on annonce la mort supposée d’Oreste, de ce fils dont on l’avait souvent menacée ; à cette nouvelle, elle ne peut réprimer un mouvement de joie et de triomphe en présence d’Électre, dont nous partageons alors l’indignation, et dont la douleur s’élève à son comble. « Eh bien ! dit-elle en voyant Clytemnestre partir, s’est-elle attristée ? a-t-elle gémi ? a-t-elle trouvé une larme, un mot de regret, à la nouvelle de cette triste fin de son fils ? Non, elle rit, et elle part. Ô malheur ! Oreste, mon frère, je meurs de ta mort. Tu as arraché de mon ame, en mourant, tout ce qui me restait encore d’espoir. Où faut-il aller maintenant, seule, sans père ni frère ? Il faut devenir esclave encore une fois, esclave de ces assassins que je hais. Eh bien ! me trouve-t-on assez heureuse ? Mais non, jamais je n’irai plus sous leur toit ; ici, à leur porte, étendue sur la pierre, je vais consumer ce qui me reste à vivre, abandonnée de tous. Après cela, qu’ils me tuent si je les gêne : ce sera un bienfait ; la vie ne m’est plus qu’une charge, je ne veux plus de la vie ! »

Ce n’est pas tout. Plus nous avançons, plus ce terrible caractère nous intéresse : tout le relève, sa résolution de braver ses ennemis et de faire elle-même ce qu’elle attendait d’Oreste ; les fières exhortations qu’elle adresse à sa sœur, plus raisonnable et plus timide ; les plaintes touchantes qu’elle répand sur l’urne qu’elle croit contenir les cendres de son frère ; l’admirable reconnaissance qui en est la suite. Jamais peut-être les richesses du génie dramatique n’ont été répandues avec autant de profusion ; on suit, le cœur serré, la marche emportée du poète ; on ne sait s’il faut aimer ou haïr ; la raison étonnée ne se rend plus compte de rien, jusqu’à cet effroyable moment où s’entendent le cri lointain de Clytemnestre frappée par son fils et lui demandant grace, et le cri plus terrible encore d’Électre qui répond : « Frappe, frappe encore une fois ! » Il est temps alors qu’une pensée morale vienne jeter sur ce spectacle une lumière quelconque, fût-elle sombre et désolante ; l’esprit sent le besoin de s’élever de quelque manière au-dessus du fait brutal d’une pareille catastrophe. Le chœur se charge aussitôt de la conclusion : « La malédiction est accomplie, s’écrie-t-il ; ils vivent donc, ceux que la terre