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l’expiation se compose de deux élémens : un sentiment vif des imperfections de la vie, et un essor de la pensée produit par ce sentiment même, pour le dominer et le ramener à l’ordre universel.

La première de ces conditions est atteinte dans la tragédie par ce qu’Aristote appelle la terreur et la pitié. On ne doit pas en ceci lui reprocher une vue trop étroite, une classification trop exclusive des sentimens qu’un beau drame peut exciter en nous ; car il ne parle pas seulement de la terreur et de la pitié, mais encore de tous les sentimens, de toutes les émotions tragiques. S’il s’occupe plus particulièrement de la terreur et de la pitié, c’est parce que ces affections se produisent en effet dans tout drame sérieux. De nos jours, il est vrai, on a inventé des systèmes pour changer tout cela. Le dégoût pour une école routinière et sans sève qui ne savait plus produire sur la scène que certaines passions stéréotypées et des personnages aussi froids que des allégories, a précipité les esprits dans un excès contraire ; on n’a plus voulu que de l’histoire pure, que de la couleur locale, des caractères analysés, un mélange d’effets tragiques et comiques, sous prétexte de vérité et de naturel. On n’en a pas été pour cela plus naturel et plus vrai, mais on a détruit la force et l’unité d’impression, c’est-à-dire amorti la puissance du drame. Les poètes grecs ont mieux compris la nature du théâtre. Par cela seul qu’elle se produit sur la scène, et qu’elle parle à des hommes assemblés, c’est l’émotion que la poésie doit nécessairement chercher. L’étude rigoureuse de l’histoire, l’analyse philosophique des singularités des caractères humains, sont un excellent sujet de méditation pour la solitude et le recueillement du cabinet ; mais la foule veut être émue, c’est par là seulement qu’on a prise sur elle. Elle ne peut être émue que par des spectacles qui la fassent réfléchir sur elle-même ; il faut donc faire vibrer certaines cordes qui rendent le même son dans nous tous, et faire saillir du sein des accidens multiples de l’histoire les faits généraux de la destinée humaine. Une certaine généralité n’implique point la monotonie ; le nombre des passions est limité sans doute, mais leurs nuances, leurs secousses et leurs effets dépendent du milieu où elles s’agitent, et sont par conséquent aussi variés que l’histoire même.

Ainsi le tableau, infiniment divers dans son unité, des misères et des faiblesses humaines, exposé avec des circonstances graves, terribles, pour mettre en jeu toutes les énergies qui, dans le cours ordinaire de la vie, dorment dans le cœur de l’homme, voilà le premier élément du drame tragique ; mais ce tableau, par ce qu’il a de gé-